(Cela devient confus... L'ajout du 16.01 prend place à la fin du texte lui-même, je le fais suivre du post-scriptum principalement consacré à M.-E. Nabe ; l'ajout du 8.02, sur le même thème, lui succède directement).Il suffit donc que
je parle de Hugo Chavez pour qu'il soit accusé d'antisémitisme !
Je fournis en fin de message divers liens qui explicitent cette "affaire", me contentant de la résumer brièvement :
le 24 décembre, M. Chavez a évoqué dans un discours la répartition des richesses mondiales, pour constater que 10% de la population du globe s'en accaparait la majorité, ce qui l'amena à se lancer dans une brève diatribe contre les "descendants" des "minorités" qui avaient crucifié le Christ puis Bolivar (sachant bien que pour le second il s'agit d'une métaphore). Certains ont vu dans ces propos une mise en cause plus ou moins directe des Juifs, et cela a donné un article de
Libération qui vaut son pesant de mauvaise foi, d'inexactitudes grossières et de désinformation.
Si l'on en croit les connaisseurs de l'Amérique latine, dans le contexte des théologies de la libération, dans lequel se situeraient les propos de M. Chavez, cette saillie ne pourrait viser que les impérialistes - les héritiers de l'empire romain et des grands bourgeois du XIXè siècle. Je veux bien l'admettre. On peut néanmoins estimer qu'il y a une part d'ambiguïté dans ce discours, on peut même suspecter que frôler quelques connotations antisémites n'est pas forcément inutile à la popularité de Hugo Chavez dans certaines parties du globe. Pour être franc, ce serait plutôt mon opinion, et les grosses ficelles impérialistes de l'organisation juive qui a levé ce lièvre et en profite pour s'ingérer dans les affaires économiques du Vénézuela n'y changent rien. Il reste que mon sentiment est, à l'heure actuelle, du domaine du procès d'intention et ne légitime en rien les raccourcis et erreurs de l'article de
Libération. Mais je voudrais surtout attirer l'attention sur quelques points.
Plaçons-nous dans l'hypothèse selon laquelle Hugo Chavez serait antisémite. Ce ne serait certes pas une preuve d'intelligence de sa part, mais serait-ce si grave ? Cela le deviendrait s'il menait une politique en conséquence ou s'il s'attaquait verbalement à la communauté juive, vénézuelienne ou autre. Tel n'est pour l'instant pas le cas. Ce pourquoi, si je comprends bien que les partisans de M. Chavez répliquent aux diffamations de
Libération (et du
Monde, qui s'est tout de même moins mouillé dans l'histoire), ils auraient aussi bien pu traiter cette histoire un peu par le mépris. Il est vrai que le journaliste de
Libération écrit tellement de bêtises dans son papier qu'il était aisé de lui répondre sur ce terrain. Mais il faut aussi garder à l'esprit qu'un homme politique peut avoir bien des préjugés ou des bêtises dans la tête : tant qu'ils n'influent pas sur sa politique et ses discours, qu'en avons-nous à faire ?
Je ne suis pas connaisseur en la matière, et je sais bien par ailleurs que le cliché du "peuple déicide" est un classique de certaines formes d'antisémitisme. Mais on observe une tendance, déjà flagrante à la sortie du film de Mel Gibson, à faire comme s'il était absolument scandaleux de supposer que des juifs aient pu simplement jouer un rôle dans la mort du Christ. Il semble néanmoins qu'il est difficile qu'il en ait été autrement, dans la mesure où cette histoire se passe dans des communautés juives ; quant à Juda, que je sache, il n'était ni aryen ni celte. Etre conscient du caractère agressif du cliché du "peuple déicide", auquel l'Eglise catholique a renoncé, est une chose ; réécrire "l'histoire" en est une autre. "C'est le boulot des nouveaux exégètes : réviser le passé sous prétexte de lutter contre le révisionnisme du présent, un comble !", rage ainsi Marc-Edouard Nabe (je le cite plus avant en post-scriptum).
C'est un vœu pieux sans doute, mais il est grand temps que l'on cesse de dénoncer l'antisémitisme à tort et à travers. Il ne faut pas se leurrer, l'antisémitisme en France n'est pas un vain mot. Il serait tout de même aussi tragique que grotesque que cet antisémitisme, fort discret depuis des années, se réveille à force d'"affaires" montées de toutes pièces (RER D, Pascal Boniface, Jean Ferrat, "Phinéas" aussi, Chavez donc...), et par comparaison avec le peu de bruit que font d'autres violences pour l'heure bien plus réelles.
Il y a environ cent ans maintenant, des juifs assimilés comme Karl Kraus rejetaient jusqu'à l'idée d'une "culture juive" et voyaient dans une telle expression, fût-elle positive, un facteur
discriminant, donc une forme perverse d'encouragement à l'antisémitisme. La génération suivante, avec par exemple Gershom Sholem, Martin Buber ou Kafka, sut redécouvrir les richesses de cette culture, sans pour autant - même si le cas de Sholem est à cet égard complexe - la poser comme fondamentalement différente des autres : il s'agissait principalement de lutter contre une forme d'oubli. Aujourd'hui, quand on entend des gens comme MM. Cukierman et Adler, on ne peut s'empêcher de revenir au raisonnement pourtant un peu court de Karl Kraus, et de penser que dans leur insistance sur de plus ou moins évidents particularismes juifs ils ne sont pas loin d'être les principaux propagateurs de l'antisémitisme en France.
Changeons, sinon de sujet, du moins de personnes. De retour en France, je n'ai évidemment rien eu de plus pressé que d'aller dans une librairie. Au rayon "société", j'ai pu constater que les ouvrages du genre
Pour en finir avec l'homophobie ou
Pour un féminisme de la subversion avaient été remplacés par un quelconque
Contre les discriminations. Pour, contre... On coupe des arbres, afin d'imprimer ce genre d'insignifiances !
Aux rayons "philosophie" et "littérature", le "contre" l'emporte haut-la-main - on est loin des
Exercices d'admiration d'un Cioran. Voilà que l'on démontre que Carl Schmitt ne s'est pas contenté d'adhérer au NSDAP pendant quelque temps, ce qui n'était déjà pas si mal, mais qu'il a été antisémite toute sa vie, ce qui rend de toute évidence sa pensée juridique "dangereuse" (c'est là un degré supplémentaire franchi par rapport à un livre précédent qui se contentait d'évoquer "Un détail nazi dans [sa] pensée") ; voilà qu'un ouvrage est consacré à l'antisémitisme (réel ou supposé, je n'en ai aucune idée) de Jean Genet ; voilà enfin qu'un autre rappelle que Céline était antisémite. Le scoop ! Celui-là surtout m'a plu, entre autres parce qu'il s'agit d'une vraie enquête de terrain, digne d'un journaliste de
Libération : l'auteur se vante d'avoir été médecin de banlieue comme l'auteur du
Voyage, sans pour autant, lui, être devenu antisémite - la belle affaire ! A-t-il écrit le
Voyage, justement ? C'eût été plus difficile et sans doute plus méritoire... Puis ce brave monsieur, rendu intrépide par ce premier exploit, ose réclamer la requalification de l'écriture des pamphlets en crime contre l'humanité.
On peut discuter et condamner Céline, on peut s'interroger sur ce qu'il doit advenir des pamphlets en question quand sa veuve sera passée - ayant droit, elle s'oppose à la moindre réédition, tous problèmes d'incitation à la haine raciale mis à part -, faut-il pour autant un tel acharnement sur un auteur décédé depuis plus de quarante ans ?
Faut-il se faire mousser sur le dos des morts ? Faut-il tant d'arrogance à étaler sa lâcheté ? Est-ce devenu un passage obligé que de se venger de sa médiocrité sur les défauts de plus grand que soi ? Taguieff au moins, qui s'y connaît en médiocrité, s'en prend souvent à des vivants.
Je laisse ces petites merdes, et conclut sur
Chateaubriand. J'avais d'abord prévu de l'évoquer sous les angles du judaïsme et de l'Islam, mais cela nous entraînerait trop loin et sera pour une autre fois. Je me contente de ce passage, sur un tout autre sujet :
"Viendra peut-être le temps, quand une société nouvelle aura pris la place de l'ordre social actuel, que la guerre paraîtra une monstrueuse absurdité, que le principe même n'en sera plus compris ; mais nous n'en sommes pas là. Dans les querelles armées, il y a des philanthropes qui distinguent les espèces et sont prêts à se trouver mal au seul nom de
guerre civile : "Des compatriotes qui se tuent ! des frères, des pères, des fils en faces les uns des autres !" Tout cela est fort triste sans doute : cependant un peuple s'est souvent retrempé et régénéré dans les discordes intestines. Il n'a jamais péri par une guerre civile, et il a souvent disparu dans des guerres étrangères. Voyez ce qu'était l'Italie au temps de ses divisions, et voyez ce qu'elle est aujourd'hui [une colonie autrichienne, ou peu s'en faut]. Il est déplorable d'être obligé de ravager la propriété de son voisin, de voir ses foyers ensanglantés par ce voisin ; mais, franchement, est-il beaucoup plus humain de massacrer une famille de paysans allemands que vous ne connaissez pas, qui n'a eu avec vous de discussion d'aucune nature, que vous volez, que vous tuez sans remords, dont vous déshonorez en sûreté de conscience les femmes et les filles, parce que
c'est la guerre ? Quoi qu'on en dise, les guerres civiles sont moins injustes, moins révoltantes et plus naturelles que les guerres étrangères, quand celles-ci ne sont pas entreprises pour sauver l'indépendance nationale. Les guerres civiles sont fondées au moins sur des outrages individuels, sur des aversions avouées et reconnues ; ce sont des duels avec des seconds, où les adversaires savent pourquoi ils ont l'épée à la main. Si les passions ne justifient pas le mal, elles l'excusent, elles l'expliquent, elles font concevoir pourquoi il existe. La guerre étrangère, comment est-elle justifiée ? Des nations s'égorgent ordinairement parce qu'un roi s'ennuie, qu'un ambitieux veut s'élever, qu'un ministre cherche à supplanter un rival. Il est temps de faire justice de ces lieux communs de sensiblerie, plus convenables au poëtes qu'aux historiens : Thucydide, César, Tite-Live se contentent d'un mot de douleur et passent."
En tout modestie - cela va sans dire -, je me permets ici de signaler que je ne disais pas grand-chose de différent, quoiqu'avec moins de netteté, dans
un texte d'août dernier. Ceci d'ailleurs pourrait légitimer la plupart des insultes qu'il m'arrive d'émettre - même si l'on préférait paradoxalement avoir à insulter des quantités moins négligeables que Alexandre Adler ou un médecin qui se vante de n'être pas antisémite...
J'aurai encore beaucoup à dire sans doute sur le judaïsme, les sionistes, Chateaubriand... Mais cela suffit bien pour une rentrée. A bientôt !
Sur le "crédo antisémite" de M. Chavez, comme n'a pas hésité à titrer
Libération, on consultera notamment :
- les articles de
Libération, justement, et du
Monde ;
- la réfutation publiée par
Le grand soir ;
- l'utile complément du
Réseau Voltaire ;
- le récapitulatif de
Acrimed.
La polémique n'étant pas close, je précise qu'il n'est pas inutile de se reporter aux pages d'accueil de ces sites pour suivre son évolution ;
Info-impartiale en propose par ailleurs un bilan. Si un article propose une bien courte vue de la religion, un autre, que je découvre en allant vérifier l'adresse ce site, exprime une opinion proche de la mienne sur l'ambiguïté du discours de Hugo Chavez.
(Ajout le 16.01)
Ça monte, ça monte,
Libération se discrédite un peu plus chaque jour... On se reportera aux sites recensés précédemment, ainsi qu'à
Rezo, qui oriente notamment vers un confrère en bloguerie, M. Mélenchon.
On peut néanmoins regretter que M. Chavez ait finalement
obéi aux injonctions de l'organisation qui lui demandait des comptes sur ses déclarations. D'abord parce que c'est ce que cette organisation lui demandait, allant jusqu'à considérer que s'il ne disait mot il consentait
de facto à être considéré comme antisémite, ce qui est une amusante conception de la preuve ; ensuite parce qu'il entre ainsi dans le jeu de ceux qui veulent lui faire perdre du temps avec des diversions de ce genre (moi aussi ; mais mon temps est moins précieux que celui de M. Chavez) ; enfin parce que s'étant agenouillé, même avec virulence, une fois, il risque fort d'avoir à recommencer, et recommencer, et recommencer...
Mais si cette affaire dirige
Libération vers le sapin un peu plus vite, nous n'aurons pas tout perdu.
PS, le 14 janvier dans l'après-midi.
Who did it ? Qui a tué le Christ ? Cette question est-elle donc si complexe ? Je fais ici appel aux lecteurs plus connaisseurs que moi et de bonne foi, si j'ose dire, pour éclairer ma lanterne à ce sujet.
Après avoir rédigé le paragraphe sur le peuple déicide, qui ne date que de ce matin, je me suis rappelé que Nabe abordait le sujet dans
J'enfonce le clou (Ed. du Rocher, 2004), à propos justement du film de Mel Gibson,
La Passion du Christ. Le texte entier (pp. 141-168) vaut le coup, j'en extrais ces passages, quitte à trahir ça et là quelques nuances :
- "A force de voir de l'antisémitisme où il n'y en a pas, on finira par ne plus en voir là où il y en a. (...) Si on a cru en déceler dans le film de Mel Gibson, c'est que certains se sentent coupables de ce qu'on inflige au Christ. Tout le monde sait que dans l'histoire ce sont les Juifs de son temps qui ont voulu la mort de Jésus. Mais ça reste abstrait. Là, pour une fois, par des images, on montre le résultat de cette haine. (...) A partir du moment où la responsabilité des Juifs d'il y a deux mille ans dans l'exécution de Jésus est signalée, on est antisémite. Voilà la nouvelle loi des gentils mauvais esprits ! Mais Dieu ne mange pas de ce pain-là."
- "Jésus a bel et bien été crucifié, non pas par mais à cause des Judéens. Les Romains n'avaient rien à craindre de Jésus, les Juifs si. Ce n'est pas une ablette pareille qui allait mettre en péril le royaume de César, voyons ! En revanche, c'est dans son petit milieu d'Hébreux qui se tiraient tous dans les pattes que ce prophète à la mords-moi-le-Dieu risquait de foutre une merde dangereuse...
Si les disciples du Christ ont créé petit à petit le christianisme, c'est bien pour se dégager du judaïsme qui n'avait pas compris son message au point de vouloir le détruire. Ce sont les Hébreux finalement qui s'en lavent les mains puisqu'ils ont fait faire le sale boulot par les Romains alors qu'il leur aurait été facile de liquider leur faux Messie à coups de pierre au coin d'une rue sombre de Jérusalem. (...)
Seuls des agnostiques zélés peuvent croire encore que les apôtres juifs de Jésus furent simplement "déçus" par l'accueil fait à leur maître par Israël. Jean est furieux et se met au grec. Paul se renie en tant que juif. C'est bien le signe qu'il n'arrivaient pas à digérer la mauvaise action des leurs. Quel intérêt de perpétuer l'idée selon laquelle le christianisme ne serait qu'une variation du judaïsme ? (...) C'est une idée païenne que tous les monothéistes, juifs, musulmans ou chrétiens, rejettent. Et le paradoxe veut que ce soit ceux qui ne croient en rien qui se réclament de ce monothéisme."
- "C'est la grande faiblesse des sous-esprits de ce temps. Plutôt que de réfuter, ils s'indignent. Cette condamnation morale de la pensée au fur et à mesure de son élaboration est un symptôme de l'époque. On commence par admettre que Jean, Pierre, Paul et les autres disent tous la même vérité et on finit par dire que ce n'est pas la vérité puisque, au regard de la morale d'aujourd'hui, ils ont eu tort de la penser."
Beaucoup de choses, et encore ai-je laissé de côté tout autant. Et au moment où je me mets devant l'ordinateur pour faire mon travail de copiste, je tombe, dans Le grand soir, sur
un texte de Danielle Bleitrach suite à la polémique sur Chavez, évoquant de façon tout à fait inverse la mort du Christ : tout est maintenant de la faute aux Romains.
Il est évident que Bleitrach connaît moins intimement son sujet que Nabe, que son texte est écrit à la va-vite (ce qui le rend d'ailleurs peu clair) ; il est peut-être caractéristique qu'elle se réfère à l'historien juif Flavius Josèphe, dont Nabe n'a pas tort de signaler que tout le monde le considère maintenant, sans raison, comme infaillible : de tout cela il ne s'ensuit pas qu'elle ait tort.
Des conseils, lecteur ?
(Ajout le 8.02)
Le Christ étant mort depuis longtemps et n'allant pas se retourner dans sa tombe pour toute cette histoire, j'avais mis de côté provisoirement cette question théologico-historique ; je viens de tomber sur un texte de M. I. Finley (in
On a perdu la guerre de Troie, Les Belles-Lettres, 1990) remontant à 1964, peu après le concile Vatican II, à l'occasion duquel l'Eglise abandonna cette idée de "peuple déicide".
Finley insiste sur le fait que les Evangiles sont notre seule et unique source sur cette question, et qu'il ne lui semble pas possible de considérer qu'ils sont assez précis à ce sujet pour permettre de trancher en toute certitude. Sauf découvertes faites depuis, cela sonne comme une fin de non-recevoir.
Il ajoute : "Il y a malheureusement pas mal de naïveté dans l'idée implicite que l'antisémitisme va tranquillement disparaître pour peu qu'on puisse démontrer de façon incontestable qu'aucun Juif (...) n'a eu de responsabilité dans la crucifixion.", ce en quoi les événements ne lui ont pas donné tort ; et conclut : "C'est le monde qu'il faudra changer, non le passé." A bon entendeur...
(Trois jours après...)
Je découvre
ce texte incisif, fortement influencé par M.-E. Nabe, sur un blog auquel par ailleurs tout ou presque m'oppose. Mais au café du commerce, on n'est pas sectaire. Et comme on ne s'y repose jamais, voici de surcroît, un peu hors sujet certes, le délicieux
fer dans la plaie porté par ledit Nabe à l'encontre des "Collabeurs".
Libellés : A. Adler, Bleitrach, Buber, Céline, Chateaubriand, Chavez, Cioran, Cormary, Cukierman, Finley, Gibson, Kafka, Kraus, Mélenchon, Nabe, Schmitt, Sholem, Taguieff