lundi 30 mars 2009

Votez Dieudonné !

Ce titre n'a aucun rapport, ou peu de rapport, avec ce qui suit.

Le maître s'en étant pris il y a peu à un film qui a eu son importance dans ma vie, je me permets de republier ci-après la note que j'avais consacrée à
La Prisonnière du désert, en mai 2007,

note qui,
via Baudelaire, évoque aussi les Etats-Unis, la crise actuelle, sans oublier, cerise sur le gâteau rapport aux travaux en cours, la dimension sacrificielle des religions.


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Peut-être est-il temps d'imaginer un monde sans Etats-Unis (avec des Etats-non-Unis ?), sans « hégémonie culturelle ». Cette perspective attise la curiosité : de là à renier le Hollywood des années 50, qu'un Eric Rohmer n'hésitait pas à comparer à l'Athènes du Ve siècle ou à la Florence de la Renaissance... Piété pour le passé !









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La découverte des saillies anti-américaines qui parsèment les textes de Baudelaire consacrés à Poe laissent un sentiment mêlé : notre grand poète-théoricien fut-il génial prophète ? Est-il au contraire le parfait représentant d'un état d'esprit français facile et envieux ? A moins que ce qui fut sa lucidité propre ne soit devenu au fil du temps pont-aux-ânes de notre suffisance et de notre inquiétude.

On peut aussi considérer que lorsqu'il évoque les Etats-Unis, Baudelaire parle surtout de la France - comme ce sera le cas lorsqu'il séjournera en Belgique - et comme nous faisons beaucoup nous-mêmes - si nous n'avions pas le sentiment que "notre continent [est] déjà trop américain" ("Pléiade", t. II, p. 293), nous ne serions pas plus choqués par les fast-foods et Paris Hilton que nous ne le sommes par le goût des chinois pour la viande de chien ou que nous ne l'avons été par l'élection d'une actrice porno à la députation en Italie.

Les textes que je vais citer - au même titre d'ailleurs que ceux de Chateaubriand, qui, lui, a vu l'Amérique naître - n'en sont pas moins fulgurants. Baudelaire fait même ce que Chateaubriand, qui a pourtant connu les Indiens, et sauf erreur de ma part, ne fait pas, au moins explicitement et d'un point de vue théorique, à savoir du comparatisme antropologique entre l'avant - les sociétés primitives - et l'après - le futur, l'Amérique (cette "grande barbarie éclairée au gaz" (p. 297)).

Cela commence par une incise (p. 321) : "Dans ce bouillonnement de médiocrités, dans ce monde épris des perfectionnements matériels - scandale d'un nouveau genre qui fait comprendre la grandeur des peuples fainéants..." - et cela se poursuit, quelques paragraphes plus loin (pp. 325-326), par une analyse, comme si Baudelaire reprenait cette incise au vol, si j'ose dire, et s'attachait à l'approfondir :

"Nul philosophe n'osera proposer pour modèles ces malheureuses hordes pourries, victimes des éléments, pâture des bêtes, aussi incapables de fabriquer des armes que de concevoir l'idée d'un pouvoir spirituel et suprême. Mais si l'on veut comparer l'homme moderne, l'homme civilisé, avec l'homme sauvage, ou plutôt une nation dite civilisée avec une nation dite sauvage, c'est-à-dire privée de toutes les ingénieuses inventions qui dispensent l'individu d'héroïsme, qui ne voit que tout l'honneur est pour le sauvage ? Par sa nature, par nécessité même, il est encyclopédique, tandis que l'homme civilisé se trouve confiné dans les régions infiniment petites de la spécialité. L'homme civilisé invente la philosophie du progrès pour se consoler de son abdication et de sa déchéance ; cependant que l'homme sauvage, époux redouté et respecté, guerrier contraint à la bravoure personnelle, poète aux heures mélancoliques où le soleil déclinant invite à chanter le passé et les ancêtres, rase de plus près la lisière de l'idéal. Quelle lacune oserons-nous lui reprocher ? Il a le prêtre, il a le sorcier et le médecin. Que dis-je ? il a le dandy, suprême incarnation de l'idée du beau transportée dans la vie matérielle, celui qui dicte la forme et règle les manières. Ses vêtements, ses parures, ses armes, son calumet, témoignent d'une faculté inventive qui nous a depuis longtemps désertés. Comparerons-nous nos yeux paresseux et nos oreilles assourdies à ces yeux qui percent la brume, à ces oreilles qui entendraient l'herbe qui pousse [référence à un personnage de Mme de Staël, semble-t-il] ? Et la sauvagesse à l'âme simple et enfantine, animal obéissant et câlin, se donnant tout entier et sachant qu'il n'est que la moitié d'une destinée, la déclarerons-nous inférieure à la dame américaine dont M. Bellegarigue (rédacteur du Moniteur de l'Epicerie !) a cru faire l'éloge en disant qu'elle était l'idéal de la femme entretenue ?"


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On aura sans doute remarqué que non seulement Baudelaire ne recule pas devant les conséquences, disons machistes pour aller vite, de son attitude comparative, mais qu'il en remet même une couche, légèrement fantasmatique, en ce sens. Quelques lignes plus loin (le texte original est disponible ici), il ne recule pas non plus devant ses conséquences humaines :

"Quant à la religion (...), j'avoue sans honte que je préfère de beaucoup le culte de Teutatès [dieu gaulois exigeant des sacrifices humains] à celui de Mammon ; et le prêtre qui offre au cruel extorqueur d'hosties humaines des victimes qui meurent honorablement, des victimes qui veulent mourir, me paraît un être tout à fait doux et humain, comparé au financier qui n'immole les populations qu'à son intérêt propre. De loin en loin, ces choses sont encore entrevues, et j'ai trouvé une fois dans un article de M. Barbey d'Aurevilly une exclamation de tristesse philosophique qui résume tout ce que je voudrais dire à ce sujet : « Peuples civilisés, qui jetez sans cesse la pierre aux sauvages, bientôt vous ne mériterez même plus d'être idolâtres ! »"

Nous voilà, via l'influence de Joseph de Maistre, revenus sur les terres d'un Bataille ou d'un Girard. Rappelons néanmoins, de peur que la fascination exercée par Baudelaire ne nous entraîne dans une dichotomie trop stricte, que le sacrifice humain n'est pas l'apanage de toutes les sociétés primitives, tant s'en faut, et qu'il n'y a pas à choisir nécessairement (Trobriand forever !), même si nos propres sociétés semblent redécouvrir cette pente, entre Teutatès et Mammon - d'ailleurs, nous avons plutôt tendance à avoir les deux pour le prix d'un, et de plus en plus. Qui vivra verrra.

La suite est plus convenue peut-être, mais contient assez de perles pour que je ne m'abstienne pas de la citer (p. 327-328) :

"Il sera toujours difficile d'exercer, noblement et fructueusement à la fois, l'état d'homme de lettres, sans s'exposer à la diffamation, à la calomnie des impuissants, à l'envie des riches, — cette envie qui est leur châtiment ! — aux vengeances de la médiocrité bourgeoise. Mais ce qui est difficile dans une monarchie tempérée ou dans une république régulière, devient presque impraticable dans une espèce de capharnaüm, où chaque sergent de ville de l'opinion fait la police au profit de ses vices, — ou de ses vertus, c'est tout un ; — où un poète, un romancier d'un pays à esclaves, est un écrivain détestable aux yeux d'un critique abolitionniste ; où l'on ne sait quel est le plus grand scandale, — le débraillé du cynisme ou l'imperturbabilité de l'hypocrisie biblique. Brûler des nègres enchaînés, coupables d'avoir senti leur joue noire fourmiller du rouge de l'honneur, jouer du revolver dans un parterre de théâtre, établir la polygamie dans les paradis de l'Ouest, que les Sauvages (ce terme a l'air d'une injustice) n'avaient pas encore souillés de ces honteuses utopies, afficher sur les murs, sans doute pour consacrer le principe de la liberté illimitée, la guérison des maladies de neuf mois [intéressant point pour une généalogie de l'avortement], tels sont quelques-uns des traits saillants, quelques-unes des illustrations morales du noble pays de Franklin, l'inventeur de la morale de comptoir, le héros d'un siècle voué à la matière. Il est bon d'appeler sans cesse le regard sur ces merveilles de brutalités, en un temps où l'américanomanie est devenue presque une passion de bon ton, à ce point qu'un archevêque a pu nous promettre sans rire que la Providence nous appellerait bientôt à jouir de cet idéal transatlantique."


En guise de conclusion, je me permettrai de rappeler cette idée, empruntée à Olivier Razac et évoquée dans un de mes premiers textes, selon laquelle "les Nord-Américains ont transféré sur le cow-boy, dans la réalité valet des basses œuvres des hommes d'affaires, les valeurs de l'Indien qu'ils ont génocidé : sens de l'honneur, goût de la solitude, de l'indépendance, de la liberté, des grands espaces... " - ce que le fait que le merveilleux chef indien de La prisonnière du désert soit interprété par un acteur allemand confirme à sa manière...

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U.S. go home...?

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vendredi 20 mars 2009

B-A BA.

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"La détermination des valeurs est indispensable à la compréhension de la conduite humaine, parce que celle-ci n'est jamais strictement utilitaire. Le calcul rationnel des spéculateurs caractérise une activité, plus ou moins étendue selon les civilisations, que limite toujours une conception de l'existence bonne. Guerrier ou travailleur, homo politicus ou homo oeconomicus, obéissent également à des croyances, religieuses, morales ou coutumières, leurs actes expriment une échelle de préférences. Un régime social est toujours le reflet d'une attitude à l'égard du cosmos, de la cité ou de Dieu. Aucune collectivité n'a réduit les valeurs à un commun dénominateur, richesse ou puissance. Le prestige des hommes ou des métiers n'a jamais été mesuré exclusivement par l'argent."

Ces lignes peuvent paraître banales aux habitués de ce comptoir, mais outre leur clarté, c'est pour leur auteur que je les retranscris : malgré la référence à Aristote (« que limite toujours une conception de l'existence bonne... »), on n'est pas ici chez Castoriadis, J.-C. Michéa ou un ponte du MAUSS, mais chez le Raymond Aron de L'opium des intellectuels (Calmann-Lévy, 1955, pp. 147-48). Ce qui indique au passage combien le débat intellectuel, si j'ose dire, a pu se déplacer en cinquante ans, et combien on a tort d'assimiler purement et simplement Aron au camp des libéraux, voire des « néo-libéraux », n'est-ce pas N. Baverez, biographe de R. Aron et auteur d'une certaine OPA intellectuelle sur sa mémoire (au sujet de cette belle petite pute intellectuelle, je vous conseille ce beau portrait à l'ancienne publié il y a quelques semaines par M. Defensa).


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Je n'oublie certes pas que Aron fut membre fondateur avec Hayek de la Société du Mont-Pèlerin, temple du néo-libéralisme, et que certaines formulations de L'opium... me donnent de désagréables frissons (peut-être ferai-je une note de lecture lorsque je l'aurai fini). Mais justement, lorsque quelqu'un qui a participé - de près ou de loin - à la mise en place des schèmes mentaux qui ont conduit peu à peu aux sourdes et sans doute bientôt bruyantes catastrophes d'aujourd'hui, lorsque ce quelqu'un explique lui-même le pourquoi du comment desdites catastrophes (« Aucune collectivité n'a réduit les valeurs à un commun dénominateur, richesse ou puissance » : la nôtre a essayé, précisément, avec la richesse, et nous en voyons depuis des années les résultats), il n'est pas inutile de le noter avant la douche froide.


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Dieu nous protège...

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jeudi 19 mars 2009

La cause et l'effet.

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Feuilletant par curiosité un vieux petit volume de Gabriel Matzneff, Le défi (La Table ronde, 1965, p. 43), j'y découvre cette phrase, citée sans référence, de Dostoïevski : "Le nihilisme est apparu chez nous parce que nous sommes tous nihilistes." On ne saurait mieux dire, ni mieux marquer l'ordre des enchaînements : l'enculisme est apparu chez nous parce que nous sommes tous enculistes.

Et comme on est puni par où on a péché, il n'y a pas de quoi s'étonner que nous ayons tous un peu mal au derrière ces derniers temps.

- Encore cinq minutes, monsieur le bourreau !

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samedi 14 mars 2009

Mon désenchantement dans ton cul...

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J'ai souvent exprimé des critiques à l'égard des thèses soutenues ou inspirées par Max Weber ou Marcel Gauchet, sur le thème du désenchantement du monde. J'ai ainsi pu écrire que notre monde n'était pas désenchanté, mais mal enchanté. Quelque chose néanmoins me gênait obscurément dans cette critique - et il faut avouer que les difficultés qu'il y a à lire M. Weber d'un côté (style laborieux, traductions de qualité incertaine), M. Gauchet de l'autre (style ultra-littéraire, absence de références précises... M. Gauchet est de ce point de vue encore plus « français » qu'un Michel Foucault, combien de fois son Désenchantement du monde m'est-il tombé des mains après quelques lignes), ne m'ont pas beaucoup stimulé.

Quoi qu'il en soit de cette dernière carence, j'ai spontanément trouvé un autre angle d'attaque, qui a au moins le mérite de la clarté et de la simplicité. "Seul ce qui a un sens est réel", cette formule d'inspiration hégélienne, que l'on trouve dans la Diatribe d'un fanatique, reste un des credo de ce café - quand bien même je devrais l'appuyer plus rigoureusement, notamment sur la philosophie de la perception (où l'on retrouve mes débats récurrents avec M. Limbes sur la phénoménogie).

Bref, seul ce qui a un sens est réel - et comme notre monde n'a plus de sens, il flotte dans un éther d'irréalité, sensible même dans la crise qui le secoue actuellement (cela peut changer rapidement ; et que les choses ne soient pas réelles ne veut certes pas dire qu'elles n'existent pas). Le monde traditionnel, disons jusqu'au XVIe siècle, avait un sens, il était donc réel. Il n'avait rien d'enchanté ou de désenchanté, il avait un sens. Parler de « désenchantement » au sujet de l'évolution du monde, c'est au mieux se tromper sur les causes et la nature de notre déprime - réelle, elle, elle est même peut-être ce qu'il y a de plus réel dans notre monde, comme le fondateur de la sociologie - Durkheim - l'avait compris très tôt (cf. Le suicide) -, confondre ce qui est cause et ce qui est conséquence ; au pire, et les deux options ne sont pas exclusives l'une de l'autre, une manifestation typique d'occidentalo-centrisme, où l'on ne voit dans les Sauvages que des gars qui passent leur vie à chanter et à danser, et dans les dignitaires des religions traditionnelles d'obscurantistes illuminés.

Ce qui est vrai, c'est que le sens a disparu en tant que facteur d'organisation du monde. Il serait donc plus juste de parler d'un monde désorienté que d'un monde désenchanté. Et cette désorientation globale a certes elle-même pu nourrir un sentiment de désenchantement, mais il faut alors immédiatement ajouter que dans le monde moderne on passe son temps à lutter contre ce désenchantement. Collectivement : c'est une des caractéristiques des totalitarismes, depuis les aspects les plus païens de la Révolution française jusqu'à l'hitlérisme. « Individuellement » (c'est-à-dire en fait collectivement, mais en croyant plus ou moins être le seul à le faire, et en voulant en tout cas ne le faire que pour soi) : ce qu'on appelle communément le fétichisme de la marchandise, la consommation comme remède au mal-être. On peut ajouter la foi en la science - qui donne certes un sens au monde, mais un sens non suffisant.

(Et le cinéma !


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Et le jazz !


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Comment un monde qui a pu produire Marilyn ou Billie Holiday serait-il ontologiquement désenchanté ?)

(Symétriquement, on accordera qu'il y a eu des tendances millénaristes dans beaucoup de religions (pas dans toutes). Mais les religions qui ont duré ont justement contenu ces tendances, plus vivaces maintenant qu'auparavant.)

Autrement dit : notre monde est désorienté, notre monde n'est pas assez réel, et ce sont les individus qui s'en retrouvent désenchantés, et qui luttent en permanence contre ce désenchantement. Le désenchantement est une caractéristique de notre monde non en tant qu'il serait désenchanté, mais en tant que le désenchantement y est présent dans les sentiments des individus qui peuplent ce monde. Ce n'est pas rien, mais ce n'est pas la même chose.


N.B. On peut dans le même ordre d'idées rappeler certaines pertinentes remarques de Wittgenstein, notamment sur la notion d'expérience : ici, puis . Heil !


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Les photos que j'ai utilisées aujourd'hui proviennent, pour l'enchantement « noble », de l'admirable site de Tom Sutpen, en lien permanent à mon comptoir, et pour l'enchantement « bas », de l'excellent espagnol Blonde Zombies (dont je dois la découverte au Dr Orlof, que les mânes d'André Bazin le protègent), et que j'ai aussi déjà utilisé. Dans la mesure où je n'ai pas toujours pu indiquer la provenance de ces photos, pour des raisons de place, dans la rubrique "Libellés", je leur reconnais publiquement ma dette ici même.

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lundi 9 mars 2009

"Fatigué de voir les autres travailler..."

(Note du 21.04.09 : ici se trouvait une version, la première bonne version que j'avais trouvée, du Tango Corse interprété par Fernandel. YouTube l'a supprimée. Les curieux peuvent la chercher !)


Un vrai tango de salarié... Vive la crise !

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vendredi 6 mars 2009

"Mange ta soupe !" (Rien de nouveau sous le soleil de la crise...)

(Note du 21.04.09 : il semble que l'on ne puisse plus emprunter que durant quelques jours des vidéos à Youtube ; je me contente donc d'indiquer les liens des vidéos qui à l'origine étaient directement accessibles ici.)



Godard I.


Une question de courage.


Godard II.



(Les amateurs pourront continuer sur A bout de souffle, puisque les vidéos s'enchaînent sans demander l'avis au spectateur, mais c'est bien l'extrait de Nouvelle vague qui m'intéresse aujourd'hui.)


Le négatif, la bouffe, la femme à poil, la réalité et sa représentation, 1963, 1990, 2009... Bon courage à tous !

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