Appel à témoins (de Dieu).
Je retranscris ce (long) passage tiré du livre d'entretiens de Marcel Gauchet La condition historique (Stock, 2003 ; j'utilise l'édition Folio, pp. 151-165) pour le soumettre à l'attention des lecteurs chrétiens, juifs, musulmans et /ou compétents. Tout avis sera le bienvenu, surtout s'il porte, comme les propos de M. Gauchet, sur le christianisme, le judaïsme, l'islam pris autant que faire se peut dans leur ensemble : je n'ai certes rien contre les points de détail, mais ce qui m'intéresse présentement est de savoir si les synthèses dessinées ici par M. Gauchet sont dans l'ensemble justes.
Je ne ferai quant à moi-même que le minimum de commentaires. Je prends la discussion au moment où il est demandé à M. Gauchet de préciser quel est le rapport du fidèle à Dieu dans le judaïsme et dans le christianisme :
"C'est... la définition du monothéisme : un Dieu séparé du monde qu'il domine. Mais une chose est la définition de Dieu sous le signe de l'altérité radicale, autre chose la relation de l'homme à cette altérité, en fonction de la manière dont elle est pensée et pensable. Les trois monothéismes sont très proches, de prime abord. Les différences qui les séparent sont subtiles. Et pourtant, ces petites différences produisent de très grandes divergences. C'est cette portée des nuances quant au statut du Dieu qu'il s'agit de comprendre. L'essentiel à cet égard me semble résider dans le mode d'accès. Dans les trois cas, on est en face d'une Révélation. L'altérité de Dieu est dans le fait même de la Révélation : il faut qu'il se manifeste aux hommes pour qu'ils se sachent ses débiteurs, au-delà de leurs faux dieux. Mais tout est dans la manière dont cette Révélation se donne. Le Dieu juif parle à son peuple en direct, et il le suit de près, tout en se tenant dans une altérité radicale qui fait que le peuple ne sait pas ce que Dieu veut de lui. Il est inscrutable dans ses desseins. D'où les prophètes. En ce sens..., le Dieu juif peut être dit "de tout à fait ailleurs". Mais métaphysiquement il reste associé au monde au travers de la Révélation qu'il communique au peuple élu. Il ne fait qu'un avec lui d'une certaine manière quand il lui parle : Yahvé habite son peuple. Sa transcendance n'empêche pas sa présence. Le Temple de Jérusalem consacre cette inscription du séparé.
Ce qui est singulier dans le cas du christianisme, c'est que Dieu ne parle pas directement. Dans un premier temps, il a parlé aux Juifs, mais ce n'était, chose étrange, qu'une préfiguration. Dans un second temps, quand il a voulu vraiment communiquer sa volonté et sa promesse de salut, il a envoyé son fils. C'est bien le comble du mystère. Quand je dis que le Dieu chrétien est ailleurs, c'est par rapport à ce qui est signifié de lui dans l'Incarnation. Ce qu'il y a de spécifique dans l'altérité chrétienne est entièrement inscrit dans le fait de la venue du Christ. Il implique une étrangeté et une extériorité de Dieu le père que ne comporte pas la Révélation directe par la parole. Dieu s'est fait homme ; cela veut dire qu'il fallait qu'il prenne une autre forme que sa forme intrinsèque pour que son message nous soit intelligible. La raison de Dieu, sa sagesse sont incommensurables à tout ce que nous pouvons nous représenter en tant qu'hommes.
Rien de pareil dans le judaïsme, où la conaturalité de Dieu et des hommes est de règle, ce qu'exprime parfaitement l'Alliance. Si celle-ci comporte un sens philosophique, c'est pour exprimer une certaine affinité ultime dans la création entre Dieu et l'homme. Le dieu chrétien, en revanche, est venu, puis il s'est retiré et nous n'avons qu'une série de témoignages à son propos pour nous restituer ses paroles. Paroles précaires, car le principe de sa divinité mine en quelque sorte sa parole humaine et nous oblige à y chercher un sens non apparent. Non seulement il y a distance incommensurable de Dieu, manifestée par le dédoublement du père et du fils, mais ce monde, qui est d'un autre ordre que le divin, en tant que théâtre de l'incarnation, doit être aménagé à part. C'est très exactement cette place à part que l'Eglise va, la première, figurer en se posant comme médiatrice. L'une des plus fortes attestations de cette façon différente de comprendre l'altérité divine va être l'existence d'une Eglise médiatrice qui perpétue la médiation du Christ sous la forme d'une institution. Celle-ci définit une sphère terrestre qui a besoin de se constituer dans son unité spirituelle pour se rapport à ce qui est absolument au-delà d'elle.
- On entrevoit sans difficulté l'espace ainsi ouvert dans le christianisme à l'imagination métaphysique.
Elle n'a pas le même motif de se déployer dans le judaïsme, avec l'exception hautement instructive, a contrario, de la Kabbale, qui est une méditation sur le retrait de Dieu - comment un Dieu qui commande le monde peut-il ne pas s'y livrer ? Dans l'inspiration centrale du judaïsme, il n'y a pas de mystère ; c'est même le contraire : le vrai croyant vit dans l'assurance des commandements de Dieu, en conformité avec sa Loi et dans l'Alliance avec lui. A l'opposé le christianisme tire le monothéisme dans le sens d'une religion du mystère et donc de l'hérésie : la possibilité de l'interprétation et la nécessité de l'autorité institutionnelle pour confirmer l'interprétation confèrent une tension formidable au statut de la vérité.
- Et dans l'islam ?
L'islam offre une occasion supplémentaire de vérifier [que] tout tient dans les conditions de la révélation et dans la manière dont elle est interprétable. Le cas particulier de l'islam est d'être une religion historique - entendons, une religion qui se définit par rapport à des religions antérieures. Le monothéisme musulman vient après les deux autres. C'est déjà le cas du christianisme, qui est un judaïsme au second degré. Il se pense comme un accomplissement du judaïsme. La volonté d'intégrer l'histoire juive à sa propre histoire est l'une de ses dimensions constitutives ; il est évident que le christianisme eût été très différent s'il s'était purement et simplement coupé du judaïsme. L'islam répète l'opération, à un degré supplémentaire, mais avec une différence d'inspiration notable ; s'il y a une religion où la catégorie de la rationalisation wébérienne s'applique, c'est celle-là. Qu'est que l'islam en effet, sinon la rationalisation de l'idée monothéiste par un homme simple et solide qui n'était en rien un profond théologien mais un bon esprit, rigoureux, un patriarche de bon sens soucieux de remettre les choses "à plat" ? Qu'y a-t-il d'important dans le monothéisme ? semble se demander Mahomet. Et il répond : l'unicité divine ; tout est là, tirons-en les conséquences. L'essentiel de l'islam découle de cette arrivée après coup et de la possibilité de simplification et de rationalisation qu'elle autorise. Il en résulte un monothéisme plus radical et plus rigoureux que celui des juifs croyant au peuple élu ou que celui des chrétiens croyant en l'incarnation.
La même rationalisation drastique s'applique aux conditions de la Révélation. Si Dieu est un, éternel et tout-puissant, il ne saurait y avoir de loi valable que celle exprimée par lui directement et complètement, le Prophète n'étant qu'un scribe inspiré qui transcrit sous sa dictée. Nous avons cette fois la parole même de Dieu, éternelle et incréée, en son absolue perfection. Le sceau est mis au cycle de la prophétie abrahamique. La façon d'entendre la Révélation s'en trouve complètement changée, aussi bien que la conception du divin. Croire, suivre la parole du Prophète, c'est entrer dans la volonté de Dieu, qui est la raison des choses. Dieu a beau être le Tout-Puissant absolument séparé, les hommes sont enveloppés dans sa présence, maintenant qu'ils disposent de son message définitif. L'intelligence humaine se meut dans l'unité et l'accord avec le séparé.
Les règles de l'interprétation du livre s'en voient tout aussi strictement déterminées. Il y a dans l'islam une exégèse, une science des docteurs, parce qu'on est en présence d'un texte complexe qu'on ne saurait scruter avec trop de soin. Non seulement il faut s'assurer de ce qu'il dit à la lettre, mais il faut savoir appliquer avec discernement la loi qu'il définit. Pour autant, il n'y a pas de place pour une herméneutique telle que le christianisme va être amené à la mettre en oeuvre, au sens d'un déchiffrement du divin au-delà de l'humain.
De nouveau, nous retrouvons sur ce terrain une exception qui confirme la règle. Il va se développer une herméneutique musulmane, mais dans le chiisme, à la faveur du grand schisme originel de l'islam, celui des sectateurs d'Ali. On va avoir dans le chiisme, d'ailleurs, à la fois un clergé et une science du sens caché du Texte sacré, dans une association révélatrice. Le scandale auquel il faut répondre ici est celui du triomphe apparent des réprouvés. Comment Dieu qui est tout-puissant peut-il tolérer la défaite des vrais croyants et la victoire de l'imposture ? Pour faire face à cet incompréhensible majeur, le chiisme a élaboré, à partir des premiers siècles de l'hégire, une riche tradition de recherche des sens secrets de la Révélation divine, dans l'attente de leur manifestation complète - une herméneutique eschatologique de nature ésotérique.
Il faut ici préciser un point. Le christianisme, bien que le sens du surnaturel y soit toujours médié et non lisible immédiatement, n'est pas une religion ésotérique. Il n'y a pas de secret de Dieu ; il y a une révélation problématique, ce qui est fort différent, et un mystère de la nature et du plan de Dieu pour la raison humaine. La nuance est décisive. La gnose est une tentation que le christianisme a toujours écartée. La limite de la raison n'est pas le retranchement objectif du vrai et sa dissimulation sous un vêtement indéchiffrable pour le commun des esprits. Ce n'est pas du tout la même chose de dire que les Ecritures exigent une lecture attentive à ce qui s'exprime au-délà du langage humain, et de dire qu'elles ont un sens caché, un sens occulte appelant une technique initiatique de déchiffrement. Si le sens spirituel du Texte chrétien pose problème, il est susceptible d'être rendu accessible à tous les esprits par l'intermédiaire d'interprètes qualifiés et avec l'aide de la tradition. Ce que nous montre l'islam est d'une autre nature. On a d'un côté, courant majoritaire, un sens obvie devant lequel il n'y a qu'à s'incliner - ce qui ne veut pas dire qu'il n'exige pas attention, précaution, érudition. Et on a de l'autre côté un sens secret ou bien cultivé par la cléricature de l'Imam caché (le chiisme), ou bien réservé à des initiés dans des confréries (le soufisme). Le christianisme est, au contraire, une religion publique, en dépit du poids de la cléricature : certes, ce sont des oligarques qui ont l'autorité du sens, mais ils sont faits pour le communiquer au peuple.
- Si l'islam était bien une religion de la rationalisation du principe monothéiste, on comprendrait qu'il ait fait la part belle à la philosophie.
L'islam a manifesté, ô combien ! sa vocation philosophique. L'idée d'un Dieu unique et tout-puissant, dès lors qu'elle est tacitement visée sous l'angle de sa rationalité intrinsèque, se prête éminemment à une élaboration philosophique d'envergure, et il y a eu une riche palette de penseurs musulmans pour l'illustrer. Mais cette philosophie, qui est une pure métaphysique, s'est assez vite épuisée, après un admirable flamboiement. Il y a à cela des raisons qui tiennent au contexte, à l'intolérance d'un légalisme et d'un littéralisme qui sont une autre possibilité inscrite dans la Révélation coranique. Mais il y a probablement aussi des raisons internes. La comparaison avec la situation chrétienne peut nous aider à le comprendre. Ce qui a été moteur, dans son cadre, c'est la relance conflictuelle permanente entre le mystère et l'évidence, la raison et la foi, l'indépendance et l'autorité. La pensée chrétienne est davantage fidéiste, pourtant, à la base. La foi conteste la raison, l'outrepasse, elle désigne un au-delà qui ne s'accommode pas des limites de l'entendement humain. Mais en creusant de la sorte l'écart des choses divines par rapport au domaine qui nous est intellectuellement accessible, elle fait apparaître un secteur indépendant, un ordre du monde, qui doit bien relever de la sagesse divine, mais qui est accessible à notre entendement, lequel peut dès lors spéculer sur la raison divine à partir de cette raison à l'oeuvre dans la nature. Plus la foi s'affirme au-delà de la raison, plus elle ménage une place importante à la raison. Le volontarisme occamien détruit la synthèse thomiste entre foi et raison, mais c'est finalement pour ouvrir le domaine des phénomènes naturels à la science moderne.
La pensée islamique est davantage rationaliste en ses prémisses. Les choses divines se présentent d'emblée pour elle sous le signe d'une essentielle rationalité. Mais cette raison va vers la foi, elle reconduit à la contemplation mystique du donné de la Révélation. Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas faire de philosophie, mais que la philosophie s'accomplit dans plus qu'elle, qui la rend inutile. On trouve maintes formulations analogues dans la philosophie chrétienne, du reste, mais ce qui compte, c'est le dispositif qui la renvoie au travail de la raison malgré elle. En forçant le trait, on pourrait dire que le dispositif fonctionne dans l'autre sens pour la philosophie islamique. Elle est poussée vers le fidéisme mystique et l'abîme du divin en dépit de sa confiance dans la raison humaine.
- On dit beaucoup que dans l'islam, théologie et politique sont confondues. Et on en tire argument pour "montrer" que les musulmans ne peuvent pas entrer dans la modernité.
Même si la proposition comporte un élément de vérité, à la lettre, elle est fausse. Ne fût-ce que sociologiquement : il y a des docteurs de la loi religieuse et des hommes de pouvoir, et ce ne sont pas les mêmes. Rien dans le Coran ne permet d'établir une autorité politique qui serait en même temps une autorité religieuse. Au contraire, dans une "logocratie" comme celle qu'il instaure, selon l'excellent terme proposé par Jean-Paul Charnay, il n'y a pas de place pour un pouvoir qui prétendrait capter à son profit l'autorité d'une Révélation par essence livrée à tous. Ce qui est vrai, c'est qu'en fonction de la même logique, il n'y a pas d'institutionnalisation possible d'une puissance spirituelle distincte. Aussi la Révélation de la Loi peut-elle bien avoir ses spécialistes, ses docteurs et ses juges, ceux-ci ne se constituent pas en une instance indépendante. Ils restent épars dans la société, et donc exposés à l'emprise du pouvoir politique - lequel, pour autant, encore une fois, n'est pas fondé à s'arroger un pouvoir sur le religieux. L'idéal suprême est celui d'un pouvoir unique commandant l'ensemble des croyants en intime accord avec les commandements de la parole divine. Il se concentre dans la figure du califat. Celle-ci unit ou plutôt conjoint, si l'on veut, "pouvoir politique et pouvoir religieux", mais dans un sens et sur un mode qui n'ont rien à voir avec les catégories chrétiennes. Il faut se garder de projeter là-dessus l'image du pontife romain ! Il faut commencer par mesurer, à l'inverse, les limites de la notion de "pouvoir religieux" qu'implique la logocratie coranique. Les circonstances des premiers siècles de l'islam, son expansion guerrière ont consacré la suprématie du pouvoir politique en le faisant sortir, pour ainsi dire, de la religion. C'est en ce sens que l'islam est dit "religion et gouvernement", selon la formule consacrée. Mais ce n'est que vu de loin, et avec des lunettes trompeuses, que cette situation s'apparente à une fusion du politique et du religieux.
Le pouvoir n'est pas l'intermédiaire de Dieu, mais Dieu est tout-puissant ; gouvernant le monde, il gouverne aussi - indirectement bien entendu - les choses politiques. Les pouvoirs sont forcément de Dieu, sans être pour autant investis de Dieu. Aucun pouvoir traditionnel, détenant une légitimité intrinsèque de par sa provenance, n'est reconnu. Aussi cette religion de la toute-puissance divine contient-elle un puissant ferment d'anarchie. L'islam porte vers des sociétés politiques instables et contentieuses. Celui qui gouverne le fait au nom de Dieu et ne tient sa légitimité pour le faire que de Dieu. Mais il n'a aucune légitimité par lui-même, Allah gardant le principe du pouvoir par-devers lui. Qu'un opposant s'élève et l'abatte, et il ne sera pas moins autorisé de Dieu par sa victoire. Toute légitimité terrestre est irrémédiablement fragile, dans un tel cadre, à la mesure paradoxalement de l'écrasante puissance dont elle se réclame. La soumission que les pouvoirs sont fondés à exiger ne les empêche pas d'être exposés en permanence à une contestation également fondée en religion. Cette situation va être formalisée par la théorie de l'émirat. A la différence du calife, l'émir est l'usurpateur qui règne par la la force ; d'une certaine manière, il est légitime car c'est forcément Dieu qui autorise son usurpation, mais c'est quand même un usurpateur.
Le cas du christianisme occidental, en regard, ressort dans sa différence. il nous fait assister à l'invention d'un pouvoir sacré, c'est-à-dire hautement légitime. La mutation s'opère au VIIIè siècle : le pouvoir sacré est dans l'ordre politique l'homologue structurel du pouvoir de médiation de l'Eglise ; il tient son charisme de sa relation au transcendant. Autrement dit, le roi est reconnu par l'Eglise comme un médiateur sacral ; à preuve, le fait qu'elle le sacre. Les commencements de l'institution sont des plus modestes et contingents, mais elle répond à quelque chose de très profond : la nécessité de trouver quelque chose de stable dans un monde où règne l'instabilité. L'Eglise en a besoin pour elle-même ; et elle y parvient en sacralisant la légitimité traditionnelle, ce que l'islam ne peut en aucune façon faire : il la ménage, mais il ne peut pas la rendre religieuse, elle reste radicalement extérieure et à la merci des avatars de la société. Tandis que dans le christianisme d'Occident, l'autorité religieuse est étendue au pouvoir politique par le biais de la valeur sacrée qu'il donne à la tradition royale. Le modèle de l'institution royale est dans la Bible, les Juifs ont eu des rois et c'est avec cette royauté que le christianisme du haut Moyen Age va inventer un modèle nouveau de pouvoir. L'extériorité en est reconnue, en ce sens que l'Eglise ne désigne pas les pouvoirs ; elle les sacre et c'est ainsi qu'elle va fabriquer un pouvoir extraordinairement solide, un pouvoir chrétien légitime, qui peut donc revendiquer auprès de l'Eglise elle-même la primauté. C'est quelque chose de vraiment singulier et de décisif dans notre histoire.
Maintenant, en ce qui concerne la relation entre l'islam et la modernité, il faut bien poser le problème. La question n'est plus de savoir si la vision musulmane du religieux et du politique pousserait spontanément vers la dissociation institutionnelle des deux ordres. Nous pouvons tenir qu'un tel développement endogène était improbable en terre d'islam, non pas à cause de l'union supposée du religieux et du politique, mais de la façon de comprendre leur séparation. La vraie question désormais est ailleurs. Elle est celle des ressources que comporte l'islam pour s'adapter à une modernité politique qui s'est construite en dehors de lui. Je ne vois aucune incompatibilité théologique de principe entre l'islam et la démocratie. Il me semble qu'on peut concevoir sans peine, sur le fond, une vision musulmane de la démocratie. Il y a, en revanche, la difficulté générale pour le monde non occidental d'assimiler un système de règles qui arrive de l'extérieur, difficulté spécialement douloureuse, peut-être, pour l'orgueil des fidèles du "sceau de la prophétie". Et puis il y a le plus important, qui est l'enracinement social de la légitimité électorale, auquel leur histoire a peu préparé les sociétés musulmanes. L'ethnocentrisme occidental est très mauvais conseiller à cet égard. Comme si des processus qui ont pris des siècles chez nous pouvaient s'accomplir par miracle dans des sociétés brutalement requises du dehors de changer de cap par rapport à leur tradition !"
Sur ces derniers points, sans doute ne faut-il pas oublier que le terme de "modernité" n'a pas à être élogieux ou critique : quel que soit le point de vue, la rencontre avec l'islam a lieu - cela commence même à faire un certain temps.
Par ailleurs, je trouve ici quelques précisions - dont je me demande justement si elles sont ou non exactes - sur les rapports entre islam et pouvoir qui sont absentes aussi bien chez Castoriadis (lequel a me semble-t-il une vision un peu caricaturale de la chose), que chez Dumont (lequel avouait être bien embarrassé par l'islam - si M. Gauchet a raison on comprend un peu mieux pourquoi).
Quoi qu'il en soit, à vous de jouer...
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