Ach, c'était le dernier qui me manquait, c'est triste une collection qui finit...
Quelques beautés pour le plaisir :
"La publicité est la chose du monde la plus belle, plus belle encore qu'un million de dollars, car elle est ce qu'il y a de beau dans un million de dollars. La publicité est une révélation plus haute que l'art et la philosophie car elle est ce que révèlent l'art et la philosophie. La publicité est la victoire sur les chimères, la nouveauté éternelle, la règle dont gémit le chaos, le sujet de la conciliation, l'échange maîtrisé, la situation construite. Elle juge de toute chose. Elle est amas de certitude, la gloire de l'univers. La publicité est un fleuve majestueux et fertile. La théorie est la tempête, le Hegelsturm. La théorie doit avoir pour but la publicité."
"Pour certains praticiens des grotesques sciences humaines, le passé est censé expliquer le présent. Ceci n'est que l'aveu masqué de leur impuissance à comprendre le présent. On ne fréquente pas impunément l'université. Le secret de la société moderne n'est pas dans les sociétés archaïques ou les sociétés animales, mais la société la plus moderne est le secret révélé des sociétés archaïques ou animales. De même, le fait que l'animal échange ne signifie pas que l'homme soit bestial, mais au contraire que l'animal est humain. Contrairement à l'idée bien répandue et fausse, le fait que l'homme connaisse l'échange sexué ne signifie pas que l'homme soit bestial, mais bien que l'animal est humain dans ce rapport. Les déterminations qui distinguent l'animal de l'homme sont les déterminations de l'homme lui-même. L'homme est la vérité de l'animal, l'animal vrai. Le genre humain est le genre de tous les animaux. Ainsi l'homme est-il plus animal que l'animal puisqu'il est l'animal vrai, et la publicité est-elle plus universelle que l'univers puisqu'elle est la vérité de l'univers, l'univers vérifié, l'univers fondé, l'univers supprimé.
L'ethnographie ne peut fournir des idées à ceux qui n'en ont pas. Comment des misérables qui ont renoncé à tout espoir de richesse, qui n'ont critiqué dans leur vie aucun des aspects de notre monde trivial et se sont accommodés de tous, pourraient-ils concevoir la richesse. Lorsque la société moderne est incapable de comprendre une société ancienne, c'est simplement qu'elle est elle-même trop archaïque et n'a pas produit un degré suffisant d'abstraction, d'absence, de rareté. L'ethnographie ne peut être que la pierre de touche de la science de la publicité et ne peut en aucun cas fournir le principe de cette science. (...)
Tant que l'on persistera à voir dans le sauvage archaïque un enfant de la nature insouciant et paresseux, qui évite dans toute la mesure du possible de s'employer à une tâche et de se donner du mal, qui attend que lui tombent mûrs dans la bouche des fruits qu'une nature tropicale féconde lui dispense avec générosité, on s'abusera, et on restera incapable de saisir les motifs qui l'inspirent et les buts qu'il poursuit quand il se lance dans une expédition Kula, ou dans toute autre entreprise. Bien au contraire, la vérité est que le sauvage archaïque peut travailler, et en certaines occasions travailler effectivement très dur et de façon systématique, avec endurance et volonté, et qu'il n'attend pas pour le faire d'être contraint par des besoins urgents. Il suffit de lire quelques pages de Malinowski pour saisir immédiatement la grandeur de ces Papous qui se livrent explicitement à la pratique de l'humanité au péril de leur vie, et pour comprendre que le seul mobile de leur travail est - apodicticité du bonheur - le pur plaisir de la suppression du travail, la pratique de l'échange et de la publicité. On ne peut qu'être saisi de respect pour la science de ces sauvages qui connaissent que le travail devient humain quand il est supprimé, que le travail humain est le travail supprimé et que la publicité est le seul travail digne de l'homme. En opposition à la profonde misère du riche moderne, on admire la grandeur du riche chef papou qui dépense en publicité toutes ses ressources." (1975, pp. 46-47 et 52-55)
Le riche moderne en a d'ailleurs quelque intuition, si l'on se fie à son côté de plus en plus « ostentatoire », comme on dit de nos jours, mais il ne comprend pas que cette ostentation est vide de sens dans une société que par la pratique effrénée de l'enculisme il a lui-même contribué à vider de sens. Bien fait pour sa gueule.
C'est une question que je me pose, pas une fin de non-recevoir, j'ai déjà dû évoquer cela quelque part, mais je me demande si le fait que je ne sois pas plus attiré par l'oeuvre de Guénon, alors que je sens son importance et que la plupart des auteurs du XXe siècle qui m'intéressent ont subi de façon plus ou moins directe son influence, est que l'on a du mal à y caser les Sauvages. Maurras écrit sur eux des bêtises aujourd'hui dépassées, mais à la limite, Mauss et Malinowski aidant, on peut les intégrer à ses théories. Avec Guénon cela semble plus difficile - mais si je dis moi-même ici une connerie, nul doute que quelqu'un me corrigera...
Quoi qu'il en soit, on complétera ces brillantes variations sur le thème majeur : "L'humanité est une cérémonie", par cette phrase de Pierre Boutang dans son commentaire du Banquet : "Tout désir est spirituel" (la phrase exacte est : "Le désir, tout désir, est donc spirituel à sa manière" ; Hermann, 1972, p. 137), qui me semble s'appliquer à l'échange - et notamment à l'échange sexué. - A suivre, avec plaisir...
- En clin d'oeil au Duc de Trèfle, c'était l'occasion ou jamais...
"Je n'aime pas le tam-tam…" La parole à la défense.
"(…) je me suis animé un peu... N’allez point m’estimer jaloux ! Ce serait mal reconnaître ma parfaite indépendance. Les Juifs, je les emmerde bien, ils peuvent gentiment me le rendre, à droite, comme à gauche, comme au centre, en travers, au particulier. Ils ne me gênent personnellement qu’un petit peu, presque pas. Il s’agit d’un conflit tout à fait « idéolochique ».
Certes, j’observe que par l’entremise des youpins : éditeurs, agents, publicistes, etc…, sous l’influence des films, scénarios juifs, agresseurs, branleurs pourrisseurs, de la politique juive en somme des consignes juives, occultes où officielles, la petite production artistique française, déjà si maigrichonne, si peu rayonnante, est en train bel et bien de crever... Les Juifs doivent écraser tout c’est entendu... Mais la vie n’est pas si longue, ni si joyeuse que cela puisse en vérité vous empêcher de dormir. Et puis, demeurons tout à fait équitables, les Juifs furent toujours bien aidés dans leur œuvre de destruction, d’asservissement spirituel par les maniérismes « façon noble, renaissant » et puis ensuite pusillanimes, bourgeois officiels, enfin toute la châtrerie académique, puristique, désespérément obtuse dont succombent nos arts dits français.
Ce qui nous gêne le plus dans les Juifs, quand on examine la situation, c’est leur arrogance, leur revendicarisme, leur perpétuelle martyrologo-dervicherie, leur sale tam-tam. En Afrique, chez les mêmes nègres, ou leurs cousins au Cameroun, j’ai vécu des années seul, dans un de leurs villages, en pleine forêt, sous la même paillotte, à la même calebasse. En Afrique, c’étaient des braves gens. Ici, ils me gênent, ils m’écœurent. Ils ne devenaient tout à fait insupportables au Cameroun, qu’au moment de la pleine lune, ils devenaient torturants avec leur tam-tam... Mais les autres nuits, ils vous laissaient roupiller bien tranquille, en toute sécurité. Je parle du pays « pahoin », le plus nègre pays de nègres. Mais ici, à présent, en France, Lune ou pas Lune, toujours tam-tam !... Nègres pour nègres, je préfère les anthropophages... et puis pas ici... chez eux... Au fond, c’est le seul dommage qu’ils me causent, un dommage esthétique, je n’aime pas le tam-tam... Quant à la matérielle, mon Dieu ! il m’était extrêmement facile de m’arranger... Je pouvais me payer le luxe, non seulement d’ignorer toutes ces turpitudes, mais il m’était enfantin de profiter, et comment, fort grassement, mirifiquement de cette invasion murine... putréfiante... Mille moyens, mille précédents ! Il m’était loisible entre autres, si l’on considère mes charmes, mon très avantageux physique, ma situation pécuniaire solide, d’épouser sans faire tant d’histoires, quelque petite juive bien en cour... bien apparentée... (Il en vient toujours rôder, tâter un peu le terrain), me faire naturaliser par là même, « un petit peu juif »... Prouesse qui se porte superbement en médecine, dans les Arts, la noblesse, la politique... Passeport pour tous les triomphes, pour toutes les immunités... Tous ces propos, j’en conviens, tiennent du babillage... Bagatelles !... Babillons !... Nous avons noté que les Juifs semblent avoir choisi l’anglais pour la langue de standardisation universelle (ils faillirent opter pour l’allemand)...
N’est-il pas amusant à ce propos d’observer que les jeunes Juifs des meilleures familles (Juifs français compris), se rendent le plus souvent à Oxford pour achever leurs études. « Finishing touch ! » Suprême vernis ! Si je voulais, si les circonstances m’obligeaient, je pourrais peut-être écrire directement mes livres en anglais. C’est une corde pour me défendre, une petite corde à mon arc. Je ne devrais pas me plaindre... Mais personne ne m’a fait cadeau de mon petit arc... J’aurais bien voulu qu’on me fasse dans la vie quelques cadeaux ! Tout est là !... Pour le moment je préfère encore écrire en français… Je trouve l’anglais trop mou, trop délicat, trop chochote. Mais s’il le fallait... Et puis les Juifs anglo-américains me traduisent régulièrement, autre raison... et me lisent !... Nous ne sommes pas très nombreux, parmi les auteurs français de la « classe internationale ». Voilà le plus triste. Cinq ou six, je crois... tout au plus, qui pouvons étaler... C’est peu... beaucoup trop peu !... L’invasion est à sens unique, cela me gêne.
Les éditeurs judéo-anglo-saxons, très au courant des choses de la fabrication littéraire, les reconnaissent les romans « standard », ils en font fabriquer d’exactement semblables, tous les ans, par milliers, chez eux. Ils n’ont que faire de « répliques », s’embarrasser d’autres postiches... Personnellement, il me sera possible, sans doute, de me défendre encore pendant quelque temps, grâce à mon genre incantatoire, mon lyrisme ordurier vociférant, anathématique, dans ce genre très spécial, assez juif par côtés, je fais mieux que les Juifs, je leur donne des leçons. Cela me sauve. Je passe chez les Juifs des États-Unis pour un esprit fort. Pourvu que ça dure !" (Bagatelles pour un massacre, pp. 173-74 de la réédition certes fort opportune parue pendant la guerre, le texte je le rappelle est de 1937)
J'ai choisi cet extrait un peu confus pour de nombreuses raisons, que je ne crois pas devoir expliciter par le détail, mais notamment parce que Céline, avec la conscience aiguë qu'il a toujours eue de ses singularités propres, y exprime clairement un des noeuds de l'affaire actuelle : entre lui et « les Juifs », finalement, c'est à qui gueulera le plus fort, à partir de postulats darwiniens assez semblables. Dans la mesure où Bagatelles… est non seulement un immense délire, mais aussi une compilation, presque une anthologie « célinisée » de toute la littérature antisémite, il ne faut peut-être pas essayer de voir là le dernier mot de Céline sur « les Juifs », mais, dans un tel passage, on peut reconnaître une trace du vieux reproche chrétien à leur égard - Bernanos l'utilise dans Les grands cimetières… en équivalant avec audace l'hitlérisme et la mentalité juive -, selon lequel « les Juifs » n'ont aucune pitié pour les Gentils et n'ont pas le sens du pardon et de la charité chrétienne. Venant d'un anti-chrétien farouche comme Céline, c'est assez amusant, mais au moins ne fait-il pas, ici, semblant : si le romancier Céline et le médecin Destouches sont capables de pitié, le pamphlétaire entend se situer sur le même plan que celui qu'il estime être celui de l'adversaire : à darwinien, darwinien et demi, à « revendicariste », revendicariste et demi…
Il y a de nombreuses dimensions à cette affaire : l'incroyable lâcheté de Frédéric Mitterrand ; le jeu un peu étonnant de Nicolas Sarkozy, dont on nous dit que Céline est son écrivain préféré, ce qui m'a toujours étonné : y a-t-il plus d'humain en Sarko que je ne le pensais ? ou n'a-t-il de Céline qu'une lecture très superficielle ? ; quoi qu'il en soit, on ne peut pas dire qu'il l'ait ici défendu, au contraire… à moins qu'il ne se soit amusé à contribuer à lui donner raison dans sa dénonciation de la puissance juive - pourquoi pas, après tout ? ; le communautarisme et tout le tralala ; un certain aspect franchouillard chez Céline - très complexe par ailleurs - qui le rend insupportable à certains, juifs ou non juifs, qui ne cachent pas qu'ils haïssent la franchouillardise - concept par ailleurs à définir, etc.
Mais la dimension qui m'intéresse aujourd'hui c'est cette espèce de connivence bien perçue par Céline entre les auto-proclamés porte-parole de la communauté juive, et lui-même, ce jeu pervers (et dangereux), à qui gueulera le plus fort, lequel permet à certains d'occuper l'espace, parfois pour longtemps. Péguy avait diagnostiqué des phénomènes de ce genre, j'avais dans le temps cru pouvoir repérer les mêmes tendances dans le couple Lanzmann-Faurisson, et quelque part, je crois que c'est ce qui énerve les merdeux du genre Klarsfeld chez Céline : s'ils ne peuvent supporter qu'il soit « commémoré » ou « célébré » par la République, en raison des ignominies qu'il a effectivement écrites, ils sentent aussi qu'en le faisant condamner ils jouent son jeu, et s'ils ont un peu mémoire des textes, ils savent que Céline le savait - et la leur mettait bien profond par avance. Quelque part, c'est amusant, mais on remarquera que les juifs tendance « majorité silencieuse », n'y gagnent rien dans l'affaire, au contraire.
P.S. : vous trouverez ici un autre texte de Céline, écrit après la guerre, sur son rapport aux « Juifs ». J'en profite pour un mea culpa relativement à mon analyse du volume de la Pléiade regroupant les lettres du maître, au sujet de son potentiel négationnisme. D'abord, j'emploie un ton un peu condescendant qu'avec le recul je ne trouve pas nécessaire à l'endroit de Henri Godard et Jean-Paul Louis (dont par ailleurs je ne m'étais pas souvenu qu'il était le directeur des éditions du Lérot, je n'ai percuté que quelques jours après) ; ensuite, j'ai contacté Jean-Paul Louis, justement, pour lui faire de mes observations, et n'ai jamais exploité sa réponse. Il me rappelait la publication dans le Pléiade d'une autre lettre de Céline relative au négationnisme, pour me montrer qu'il n'avait pas voulu cacher le sujet. Depuis presque un an, j'aurais pu prendre le temps de répondre, et j'arrive maintenant un peu après la bataille que j'ai moi-même déclenchée. Quoi qu'il en soit, je maintiens mon analyse : les éditeurs des lettres de Céline ont fait ce qu'ils ont jugé bon pour donner du « négationnisme » de l'auteur une connaissance suffisante - je ne l'ai jamais nié - mais il reste malheureux qu'ils n'aient pas fait figurer dans le volume cette pièce essentielle où il est fait mention de la « magique » chambre à gaz. Il est vrai qu'on aurait alors sans doute entendu le vieux Klarsfeld...
Il est arrivé à Ferdinand, qui ne manquait pas d'aplomb, de s'identifier au Christ. On n'ira certes pas jusqu'à dire que l'affaire de la suppression de la commémoration officielle de sa mort équivaut à un bis repetita de la Crucifixion. On ne s'attardera pas sur le fait qu'un des plus grands écrivains français, ce qui n'est pas peu dire, lu et vénéré dans le monde entier, ne puisse être célébré dans son propre pays, qu'il aimait et détestait tout à la fois - ce qui est d'ailleurs très français. On se demandera plutôt s'il ne s'agit pas là d'une sinistre victoire posthume.
Arrosé de bière, de vin, de bière encore, de porto et de pineau...
...c'est vous dire si je suis lucide, je vous conseille cette vidéo :
Je me retiens de faire trop de commentaires, je me contente d'espérer que certains des intervenants, vous repérerez vous-mêmes ceux qui sont trop sectaires pour accepter ça, se retrouvent autour de quelques verres pour mettre à plat leurs accords et désaccords. C'est après tout une des tâches que j'essaie d'accomplir ici, à ce Café-du-Commerce évoqué par Michel-noeud pap-Maffesoli. Une mention spéciale, ne soyons pas non plus exagérément réservé, à Alain de Benoist, que personne d'ailleurs sur le plateau n'a contredit. Et un rappel de l'existence de ce texte récent de Jacques Rancière, lequel souligne très opportunément que le racisme actuel, si le mot racisme a un sens, vient plus, à l'heure actuelle, d'en « haut » que d'en « bas ».
Et que Dieu les bénisse - les femmes... Dieu seul sait pourquoi, espérons qu'il le sache !
Je sais bien que nous sommes en période de crise, que des choses-très-graves peuvent se produire dans les mois à venir, que beaucoup de Français en bavent : tout cela est vrai, mais tout cela n'est pas toute la vérité, qui est, on y revient toujours, que l'humanité est une cérémonie, que l'humanité fait avec du sacré, du rituel, du jeu, du ludique. Bien sûr, on peut considérer que les différences culturelles ou religieuses ne sont pas importantes, que nous sommes tous pareils, avec deux bras et deux jambes, etc., et tous destinés à crever - mais à ce compte, rien n'est important, et on se fait chier comme la mort, justement. Je vous citais l'autre jour la phrase de Cioran : "Il faudrait renoncer à porter un jugement d'ordre moral sur qui que ce soit. Personne n'est responsable de ce qu'il est ni ne peut changer de nature. Cela est évident et tout le monde le sait. Pourquoi alors encenser ou calomnier ? Parce que vivre, c'est évaluer, c'est émettre des jugements, et que l'abstention, quand elle n'est pas effet de la lâcheté, exige un effort épuisant." Vivre, c'est évaluer, comparer, s'engueuler, s'amuser. Très généralement et très simplement : les choses sont à la fois importantes et pas importantes, et il faut en prendre son parti. Ce qui signifie : n'arrêter l'engueulade sous prétexte que tout cela n'a finalement que bien peu d'importance… ce sont là turpitudes humaines qu'un peu de sable efface… ne doit se faire qu'au dernier moment ou en tout cas le plus tard possible. Il est sain de prendre du recul, mais on ne peut tout le temps avoir le point de vue surplombant de Dieu ou indifférentiste du saint.
Poussons jusqu'au bout, afin que notre position soit claire par rapport à l'esprit représenté ici selon nous par Alain Soral et Égalité et réconciliation : s'entretuer ou se bouffer le nez entre communautés pour faire plaisir à certains riches-qui-le-sont-déjà-trop-et-qui-veulent-le-devenir-encore-plus, oui, il y a là quelque chose de déprimant et qui justifie que l'on fasse des efforts pour éviter que la situation ne s'envenime encore… Mais il faut bien garder à l'esprit que même sans les « professionnels de la domination triangulaire », pour reprendre une expression d'A. Soral en l'appliquant, pour notre part, à tous ceux qui veulent diviser pour régner, même sans eux, les gens s'engueuleraient, se fâcheraient, et heureusement ! - En revanche, et c'est ici que nous rejoignons cet « esprit », on peut penser qu'ils le feraient de manière plus policée, au moins la plupart du temps, et cela vaut effectivement que l'on se batte dans cette direction. Ceci sans compter que faire un peu chier les puissants, qui à l'heure actuelle ne sont que des sous-merdes enculistes donneuses de leçons, fait du bien au moral.
Dit autrement : cela ramène à la surface cet argument de Wittgenstein, que j'avais fait jouer contre Castoriadis, sur la part d'hypocrisie et de jeu (au sens ludique, au sens aussi où l'on dit qu'il y a du jeu, dans un noeud par exemple : une marge de manoeuvre) dans les croyances humaines : "Il est vrai de dire qu'une certaine hypocrisie joue là-dedans un rôle dans la mesure seulement où, d'une manière générale, elle est facile à voir dans presque tout ce que font les hommes." - Cela peut sembler contradictoire avec ce qui précède, cela ne l'est pas, cela signifie simplement que, selon Wittgenstein, les gens savent bien, quelque part, que « les choses sont à la fois importantes et pas importantes » - et on ajoutera qu'ils savent que les gens le savent - quitte à l'oublier de temps à autre. (Qui a visité un marché à l'ancienne (je pense de mon côté à la Sicile) verra ce que cela veut dire : ça gueule de partout, avec un certain sourire en coin, on n'est pas dupe… et en même temps la violence peut surgir quand au cours d'une négociation l'une ou les deux parties prenantes se mettent à être dupes, dans l'instant.)
Dit encore autrement : ce n'est pas parce que l'on ne veut pas adopter la position de l'esthète décadent qui regarde les destructions et massacres autour de lui avec une certaine joie misanthrope, ce n'est pas parce que l'on essaie d'éviter que des massacres « gratuits » aient lieu, que l'on peut ignorer d'une part la potentialité de l'humanité à se massacrer, d'autre part qu'il est heureux, qu'il est sain, que l'humanité ait cette potentialité, même s'il est effectivement souhaitable qu'elle ne l'actualise pas trop souvent. Je retrouve encore une fois, et ce n'est pas un hasard, la phrase de Bataille, "Il faut le système, et il faut l'excès". Il faut les travaux et les jours, les cycles, la paisible humanité, la transmission, tout cela est magnifique à sa manière et ce n'est pas moi qui cracherai dessus, mais il faut aussi, et il le faut pour que « tout cela » soit magnifique, que l'humanité soit aussi capable d'excès, de tentatives extrêmes et gratuites - bêtes si l'on veut - et si l'humanité en est capable, il est inévitable qu'elle (se) le prouve par intermittences.
Citons encore Cioran : "Vu l'autre jour Mourir à Madrid, le film sur la guerre civile fait d'extraits et de commentaires. - Ce déploiement de cruauté, de rage des deux côtés, ces exécutions sommaires, quel spectacle insensé, et ce qui est plus grave, gratuit ! Car tout cela paraît être conçu pour l'amusement du Diable. Et encore ! Si on voyait sur un écran le défilé des nations, c'est-à-dire une doublure de l'histoire universelle, n'éprouverait-on pas la même impression d'inutilité, de démence vaine et pitoyable ?"
Là encore : c'est vrai, c'est très vrai, ce n'est pas toute la vérité (et Cioran d'ailleurs le sait). - Ce que j'écris d'autant plus tranquillement qu'à titre personnel je suis pacifique, pas bagarreur pour un sou, que j'ai eu très peu de contacts dans ma vie avec la violence, et que si je sais que c'est un manque, c'est un manque que je ne fais aucun effort pour combler…
D'une certaine façon, et malgré tout ce que je viens d'écrire, la querelle Nabe-Soral n'est que le reflet d'une différence de positionnement dans le combat politique. Si Nabe ne parle qu'en son nom propre, Égalité et Réconciliation reste un mouvement politique, et à ce compte se doit d'avoir des objectifs, de donner des directions : qu'il y ait ou non de temps à autre des retours de stalinisme chez son chef est secondaire par rapport à ce fait qu'il doit maintenir une certaine unité de principes et d'action. Mais cela ne fait que renvoyer à des différences de personnalité, rappelées par A. Soral lui-même lorsqu'il explique se situer spontanément du côté du « nous » plutôt que du côté du « je » (dichotomie par ailleurs discutable puisqu'il s'agit aussi de savoir ce que peut encore être un « je » à l'heure actuelle, mais dichotomie claire par rapport à ce qu'il veut dire). Et si le point qui a fait surgir cette différence est le 11 septembre en particulier et la question du conspirationnisme en général, c'est parce que M.-É. Nabe est dans une position qui lui permet d'accepter l'incertitude (ce qui ne l'empêche pas d'avoir une opinion assez arrêtée sur le sujet), et que cela est plus délicat pour A. Soral.
Cet angle de vue « à la Bourdieu » ayant été envisagé, essayons de synthétiser tout ce qui précède. Encore une fois, l'important n'est pas tant de critiquer Emmanuel Beau de Loménie ou Alain Soral et d'avoir ou non raison contre eux, que de cerner les limites de ce qui sous-tend leurs diagnostics. La difficulté est à la fois de marquer ces limites et de montrer l'importance actuelle d'un mouvement comme Égalité et réconciliation, en tout cas de son esprit. J'ai parlé la dernière fois de « matérialisme sous-jacent » et d'« égalitarisme prosaïque ». Si la première expression me semble claire, la deuxième peut nécessiter quelques précisions, faciles maintenant à apporter. La vie est inégalitaire est un lieu commun que l'on peut accepter à condition de ne pas le prendre dans le sens de sa vulgate darwino-spencéro-nietzschéo-spenglerienne-vae-victis : la vie est inégalitaire parce que les gens souhaitent qu'elle le soit, parce que Vivre c'est évaluer (ce qu'en tant que polémiste A. Soral ne risque pas d'oublier…). L'« égalitarisme prosaïque » qui me gêne ici, c'est celui qui oublierait que les gens veulent de l'inégalité parce qu'ils veulent de la différence et qu'ils ont raison de vouloir de la différence. - Et en même temps, il est difficile de nier que nous sommes dans une période de forte application du principe « diviser pour régner » et que cela peut avoir des conséquences dommageables pour de nombreux Français - comme par hasard pas les plus riches ni les mieux protégés. De ce point de vue, tout ce qui peut rappeler à quel point certains dés sont pipés est bon à prendre. Ce qui est un peu court, c'est de croire, comme semble le faire Beau de Loménie dans le texte que j'ai retranscrit la semaine dernière, que cela suffit, ou même que cela soit un préalable indispensable. "Le premier travail de la reconstruction sera métaphysique", "La réalité objective n'est pas de nature matérielle", on ne sort pas de là : c'est parce que l'enculisme diminuera qu'il lui sera moins facile de piper les dés, en l'occurrence d'utiliser à son profit ce qui reste de culture religieuse à l'humanité, ce qui est quand même un comble. (Au passage, je ne ressens pas le besoin d'analyser pour elle-même la thèse gauchiste-extrême comme quoi la religion a toujours été utilisée par les puissants pour niquer le peuple, vous voyez bien ce que je peux lui reprocher.)
Ne serait-ce d'ailleurs que pour ça, on souhaiterait que le 11 septembre ait bien été ce que nous avons d'abord cru qu'il était, une attaque à la fois matérielle, symbolique et métaphysique contre le Centre mondial du commerce, et non pas la mise en scène de cette attaque par des professionnels de la scénarisation et du symbole publicitaire. On souhaiterait que le génie symbolique (en partie médiatique, oui, bien sûr, mais qu'y faire ?) ait été du côté des non-enculistes (quoi que l'on pense d'eux par ailleurs). On le souhaiterait sans enthousiasme excessif, en se disant que c'est toujours ça. - L'avenir peut-être le dira…
A Nabe bien sûr ! Allié des sionistes bien connu (le bougre ose croire que le 11 septembre pourrait ne pas être une manipulation américano-sionisante), récemment fâché avec Alain Soral, nul doute qu'il n'ait actionné ses leviers occultes à la LICRA, au CRIF et à l'UEJF... C'est tellement clair !
Qui en doute ne peut être qu'un allié objectif de l'Empire.
"L'argent, le gros argent..." - Genèses, limites et ambiguïtés du « soralisme », I. - Nigger of the day, X et XI.
Étant récemment tombé sur deux textes d'auteurs qui me semblent pouvoir être considérés comme des prédécesseurs d'Alain Soral, je me suis amusé à les lire aussi bien pour eux-mêmes que pour essayer de mieux saisir les tenants et aboutissants de ce qui me semble être un courant d'idées certes minoritaire mais non négligeable dans la pensée politique française, au moins depuis le milieu du XXe siècle.
Ce genre d'exercices dévalue d'une certaine manière la pensée sur laquelle il s'exerce, en ce qu'elle en diminue la nouveauté. Dans le même temps, il peut permettre de mieux comprendre pourquoi des tentatives de combat politique telles que celles-ci ont échoué dans le passé, et ce qui, donc, éventuellement, pourrait leur donner plus de chances de réussite dans le futur.
Je vous livre aujourd'hui le premier de ces textes, avec quelques commentaires... que j'interromprai brutalement. Cela donnera un aspect partial à mes éléments d'analyse sur A. Soral, mais, outre que je commençais à être un peu long, j'allais alors partir dans des généralités qui me semblent devoir être traitées à part.
Par ailleurs, j'apprends ce matin l'histoire de la plainte de l'UEJF contre A. Soral. La question du rapport de celui-ci aux Juifs est, d'une certaine manière, inutilement compliquée, j'ai pensé un certain nombre de fois à la creuser sans jamais m'y atteler. Autrement dit, je ne sais pas si c'est une question intéressante. On en trouvera quelques traces en filigrane dans ce qui suit.
- Une petite distraction pour commencer,
et en route !
"On m'a objecté de Droite comme de Gauche : vos observations ne sont pas sans intérêt ; mais vous vous placez à un point de vue trop exclusivement économique et social. Vous ne considérez, pour expliquer nos faiblesses et confusions actuelles, que les malfaisances provoquées par les abus et les accaparements de quelques grandes puissances d'affaires. Vous n'envisagez, pour préparer un redressement, que le problème de la structure des classes sociales. Vous négligez les désordres provoqués par le mécanisme mal adapté de nos institutions constitutionnelles. Vous paraissez même vous désintéresser des idéologies, des convictions philosophiques opposées par lesquelles, pour beaucoup de gens, à quelque classe qu'ils appartiennent, se distinguent mentalité de Droite et mentalité de Gauche.
A cela je réponds : je n'ignore ni ne néglige les points de vue constitutionnels et idéologiques. Mais je tiens à éviter les confusions ; je tiens à placer les préoccupations dans leur ordre normal d'urgence.
Je sais fort bien qu'au départ, dans la France parlementaire du XIXe siècle, c'est par rapport aux positions constitutionnelles et aux formules idéologiques surtout, presqu'exclusivement même en apparence, que s'est fixée l'opposition entre la Droite et la Gauche. Sous la Restauration ceux qui se déclaraient de Gauche se recommandaient essentiellement de ce qu'ils appelaient les formules libérales issues des doctrines de 89 ; ceux qui siégeaient à Droite dans les assemblées se déclaraient avant tout fidèles aux traditions morales de la vieille monarchie qui, au cours des âges, avait par sa continuité assuré la grandeur, le rayonnement et l'oeuvre civilisatrice de la France.
Plus tard, dans les lendemains de la guerre franco-allemande, quand pour l'assemblée élue en 1871 il s'agissait de fixer le régime nouveau à donner au pays, la distinction était apparue plus nette encore et plus expressément constitutionnelle. La Droite, en principe, c'était les royalistes. La Gauche, c'était les Républicains.
Il était d'ailleurs normal que les préoccupations constitutionnelles tinssent alors une place dominante puisque le pays était sans statut défini et qu'il s'agissait de lui en donner un. Déjà cependant derrière les étiquettes proprement politiques des confusions d'un ordre très différent se dissimulaient. Si certains réclamaient la république c'était en principe parce que république signifiait pour eux démocratie, c'est-à-dire gouvernement du peuple par le peuple, gouvernement par le peuple dans l'intérêt des masses, pour libérer celles-ci de ce que les doctrinaires appelaient la domination égoïste et abusive des puissants, et aussi, assuraient-ils, de la domination de l'Église, laquelle, affirmaient-ils, pour assurer son propre pouvoir, s'appuyait elle-même sur les puissances matérielles.
Mais en réalité, très vite, un certain nombre de groupes économiquement et financièrement les plus puissants s'étaient rendus compte que pour sauver, au moins provisoirement, leurs positions menacées, il pouvait être avantageux d'exploiter les malentendus auxquels les débats constitutionnels et idéologiques sur la forme du régime pouvait donner lieu. En effet, si pour divers doctrinaires la république, identifiée par eux avec la démocratie, devait assurer la défense et la prospérité des masses opprimées, pour beaucoup de gens, même dans des milieux très populaires, la forme républicaine, historiquement liée aux sanglantes et troubles aventures de la première et de la deuxième république, représentait alors surtout l'instabilité, le désordre et la misère, un désordre, une misère et une instabilité dont les petites gens avaient été les principales victimes. La monarchie par contre leur représentait un régime où le souverain, arbitre entre tous, pouvait et devait être dans son propre intérêt autant que dans l'intérêt général, le défenseur des faibles contre les accaparements et les ambitions dominatrices des mieux pourvus.
En conséquence de quoi, comme le mot de république continuait à inspirer de grandes craintes, comme les doctrinaires démocrates savaient n'avoir derrière eux dans le pays qu'une assez étroite minorité, certains des groupes économiquement puissants et eux-mêmes menacés, aussi bien du côté des monarchistes que du côté des républicains doctrinairement démocrates, avaient conçu une savante combinaison. Ils avaient fait alliance avec les démocrates qui, se sachant pour le moment les plus faibles, étaient les moins exigeants, pour les neutraliser. On leur accorderait, à titre de dérivatifs, la forme républicaine du régime, l'idéologie anticléricale et un certain nombre de places. En échange de quoi ils ne seraient pas trop exigeants sur les réformes de structure économique et la révision des grands abus financiers.
Ce qui avait facilité le jeu c'est que tous les grands profiteurs n'avaient pas fait le même calcul. Certains d'entre eux, en assez grand nombre même au départ, avaient vu dans la combinaison de ralliement à la république un danger. Ils avaient refusé de se rallier. Car, pensaient-ils, la république ne pouvait manquer de tomber un jour dans une démagogie ruineuse pour les intérêts. Ce réflexe, bruyamment affirmé, donnait aux naïfs démocrates l'impression que les ralliés, qui, eux, dissimulaient leur calcul, étaient des idéalistes désintéressés. On leur pardonnait leur fortune en raison de la générosité de leur ralliement : on évitait de leur demander pour l'immédiat des sacrifices d'argent, on leur laissait même prendre dans le régime beaucoup de places, ouvertement ou occultement dirigeantes, du moment que, par leur ralliement, ils permettaient à la république de vivre.
Eux tiraient de tout cela un double avantage. En se ralliant à la république, c'est-à-dire, selon les formules du moment, à la Gauche, ils sauvaient au moins provisoirement leurs positions économiques privilégiées. Et en même temps ils implantaient dans l'opinion la conviction inexacte, mais pour eux commode, que les privilégiés de l'argent étaient à Droite, du côté des adversaires de la république.
A vrai dire, par la suite, la manoeuvre n'avait pu se poursuivre sans à-coups. Au bout d'un certain temps, une fois le régime installé, les démocrates de doctrine avaient commencé à se faire plus exigeants. Ils ne s'étaient plus entièrement satisfaits des deux dérivatifs des formes de constitution républicaine et de l'idéologie anticléricale. Un parti socialiste s'était organisé qui réclamait pour les masses, pour les masses ouvrières surtout, des réformes économiques et sociales de structure. Alors les grands ralliés menacés s'étaient plus ou moins discrètement retournés vers la Droite et vers l'Église, mais sans autre vraie intention que de laisser passer l'orage jusqu'au jour où les naïfs doctrinaires démocrates, pour sauver ce qui leur paraissait l'essentiel, et le plus directement menacé, c'est-à-dire les formes constitutionnelles républicaines et l'idéologie anticléricale, eussent de nouveau accepté d'abandonner provisoirement les réformes de structure.
Bref (c'est là, selon moi, la notion dominante qui, pour n'avoir jamais été avant moi clairement analysée a brouillé toute la vie française contemporaine), il n'est pas vrai du tout, comme certains le croient naïvement, comme d'autres beaucoup plus machiavéliquement se sont appliqués à le faire croire, que la Droite soit ou ait été en France le parti de l'argent. L'argent, le gros argent n'est, n'a été ni à Droite ni à Gauche. Pour sauver ses avantages les plus abusifs il n'a cessé de jouer alternativement de la Gauche et de la Droite, le plus souvent même de la Gauche, en exploitant un certain nombre d'idéologies.
C'est l'équivoque mensongère qu'il a sans cesse entretenue à ce sujet, ce sont les balancements alternés dont il s'est servi pour sauver ses privilèges abusifs qui ont été les principaux responsables de la continuelle instabilité gouvernementale et institutionnelle dont la France contemporaine n'a cessé de souffrir. Ce sont ces balancements par suite qui sont également les principaux responsables de l'affaiblissement de l'autorité internationale française, du déprimant désarroi dont cette perte de prestige fait souffrir les Français et qui entraîne la perte de dynamisme et d'esprit d'entreprise dont nous accuse tant à l'heure actuelle."
Ces lignes (reproduites sans coupures, j'ai seulement corrigé la ponctuation çà et là) ont été écrites en 1956 par Emmanuel Beau de Loménie, et publiées dans la revue dirigée par Jacques Laurent, La Parisienne (n° spécial "La Droite", octobre 1956).
Beau de Loménie est principalement connu pour deux ouvrages, une grande histoire des Responsabilités des dynasties bourgeoises, cinq volumes publiés chez Denoël entre 1943 et 1973, et une anthologie commentée de l'oeuvre de Drumont, Édouard Drumont ou l'anticapitalisme national, éditée par Pauvert (et J.-F. Revel, rendons à César…) en 1968.
Si l'on ne peut qu'espérer que son travail d'historien soit plus documenté que ces quelques lignes de synthèse, par trop allusives, on saluera la pertinence de celles-ci, et on en soulignera l'aspect pré-soralien : refus du dogmatisme de la séparation Gauche-Droite, souci marxisant de vérification dans le concret de la validité des séparations politiques, volonté de réconciliation entre les Français, qu'explicitera la suite du texte, qui est comme une préfiguration de certains aspects du régime gaulliste. Le tout accompagné d'un intérêt envers les puissances apatrides, entre autres la puissance juive. (Précisons que dans l'introduction à son livre sur Drumont Beau de Loménie estime que La France juive est le moins bon texte de son auteur, l'attention de celui-ci étant trop exclusivement focalisée sur les Juifs et lui permettant pas encore de comprendre les enjeux réels des alliances entre grands capitalistes. Je n'ai lu que cette introduction.) Ces points communs avec le fondateur d'Égalité et Réconciliation me semblent frappants dans cet autre extrait (j'y pratique quelques coupures, pour rester sur l'essentiel) :
"Actuellement, en France, en dehors des étroites minorités plus ou moins directement liées aux grands intérêts d'affaires, qui se sont maintenues, voire en fait occultement consolidées par leurs jeux alternés, il existe deux grandes masses d'importance numérique sensiblement comparable.
Il y a une masse d'ouvriers et d'employés de base, dont la plupart n'ont guère d'autres ressources que leurs salaires. Pour eux, en raison des formules démocratiques que, dès les débuts, les doctrinaires républicains avaient liées à l'étiquette de gauche, et selon lesquelles gauche signifiait souci du bien du peuple, l'appartenance à la gauche est devenue, par esprit de classe, une sorte de dogme. Mais comme en même temps, depuis les débuts, n'ont cessé de figurer dans les coalitions parlementaires de gauche certains des représentants ou des agents du grand affairisme ralliés en parole aux formules démocratiques pour neutraliser ou endormir les revendications et les impatiences les plus menaçantes ; comme dans les périodes les plus récentes encore on a vu figurer au gouvernement avec des étiquettes de gauche des hommes aussi marqués par leurs appartenances de grand affairisme que M. René Mayer, cousin et agent avoué des Rothschild, ou actuellement encore, avec le titre de secrétaire d'État au budget, M. Jean Filippi, passé dans les états-majors de la maison des Louis-Dreyfus, grands trafiquants des blés et de l'armement maritime, alors, sans bien comprendre le mécanisme de telles combinaisons, les masses ouvrières ont confusément l'impression d'être trompées. Et c'est pourquoi une grande partie d'entre elles, renonçant à l'espoir de trouver sereinement leur place au sein de la communauté française, se tournent vers Moscou.
En face de cette masse salariée à base ouvrière, il y a la vaste masse de bourgeoisie moyenne à base d'artisans, de commerçants, d'agriculteurs et d'une grande partie des intellectuels appartenant aux professions dites libérales.
C'est cette bourgeoisie moyenne qui s'est vite trouvée, qui se trouve plus que jamais aujourd'hui la principale victime des équivoques entretenues par les grandes puissances d'affaires. En principe, par le genre de ses activités qui sont souvent de caractère indépendant et patronal, par ses relations de famille parfois, elle devrait avoir été soutenue et appuyée par les dirigeants des grandes entreprises. En fait, le plus souvent, ces derniers, préoccupés surtout de protéger leurs positions menacées et leurs privilèges à tant de points de vue abusifs, n'ont rien fait pour aider et entretenir l'esprit d'initiative, le dynamisme producteur de ces cadres moyens. Bien au contraire, soucieux avant tout d'écarter d'éventuels concurrents, se réservant à eux-mêmes les moyens de crédit, pompant par des systèmes d'emprunts chargés de fallacieuses promesses les épargnes de ces possibles rivaux, ils les ont peu à peu et en quelque sorte méthodiquement déprimés. Et, pour détourner leurs révoltes instinctives, ils ont, avec eux mieux et plus facilement encore qu'avec les masses ouvrières, joué des malentendus idéologiques, en les divisant.
De sorte que s'est entretenue, pour le plus commode et malsain maintien des pires abus économiques la coupure de la petite et moyenne bourgeoisie entre une gauche républicaine et radicale et une droite antiparlementaire, si occupées à se disputer sur la forme des institutions et sur le problème religieux qu'elles en arrivent à oublier leurs intérêts comme leurs responsabilités sociales communes et l'élaboration d'un programme économique et financier en rapport avec le rôle commun qui devrait leur revenir dans l'ensemble des activités françaises.
Imaginons au contraire que le jeu malsain qui a entretenu et cultivé ses divisions ait été compris par elle. Au lieu de s'user dans ses disputes théoriques elle serait tout naturellement amenée à prendre l'initiative d'un programme d'organisation d'ensemble des initiatives productrices individuelles. Il ne s'agirait pas de condamner par principe les grandes fortunes et les grandes entreprises. Il s'agirait de les contrôler, par le moyen entre autres d'un système ordonné de distribution du crédit, pour les plier au service du bien commun. Et le programme ainsi compris, qui deviendrait normalement celui d'une nouvelle Droite assainie rendrait également possible la formation d'une nouvelle Gauche, sur des bases saines et cohérentes.
La nouvelle Gauche, contrepoids de notre nouvelle Droite, délivrée des révoltes suscitées par l'hypocrisie des actuelles coalitions de gauche, serait moins tentée de subir l'attraction du communisme moscoutaire, voire de cette espèce de haine larvée pour notre passé national qu'on devine chez certains des doctrinaires actuels du M.R.P. qui se veulent de gauche.
Alors le jeu parlementaire pourrait fonctionner d'une façon équilibrée, avec deux grands groupements assez cohérents pour permettre l'établissement de programmes sociaux et nationaux ensemble. Et, les équivoques mensongères qui ont tant contribué à la démoralisation commune étant éliminées, les débats relatifs à la réforme des institutions, les discussions relatives à la politique religieuse pourraient reprendre dans une atmosphère que ne viendraient plus brouiller les passions facticement entretenues et irritées.
Si en effet il est normal que les intérêts différents s'organisent pour arriver par leur confrontation à un équilibre, il est malsain que les forces actives du pays soient enrégimentées de façon durable en factions groupées sur des programmes dont les thèmes principaux, consistant à remettre sans cesse en question les assises essentielles de notre vie nationale et morale, entretiennent une mentalité continuelle de guerre civile."
"Quand sonne l'heure d'une idéologie, tout concourt à sa réussite, ses ennemis eux-mêmes…" - l'on peut constater encore une fois la validité de cet adage de Cioran, tant le régime qui est apparu dans les années qui suivirent la rédaction de cet article, par certains aspects a comblé les voeux de Beau de Loménie, par d'autres aspects a renforcé le poids des grands groupes capitalistes par rapport à celui des PME et de la « bourgeoisie moyenne ».
Il ne faut pas pousser les parallèles entre les auteurs et entre les époques trop loin, mais l'on retrouve ici une ambiguïté qu'il m'est arrivé de signaler sur le côté « restaurateur du capitalisme » d'Alain Soral. Il y a à cela trois raisons me semble-t-il, et si les deux premières : l'incroyable puissance de récupération et de recyclage du capitalisme ; son indéniable tendance actuelle à l'autodestruction, qui fait que ceux qui luttent contre lui ont tendance à tenter de le sauver de lui-même -, si les deux premières sont des facteurs lourds et externes à la pensée de E. Beau de Loménie ou d'A. Soral, la troisième renvoie à la cohérence interne de leurs discours et aux velléités de réductionnisme économiste que l'on peut y déceler.
Quelque part dans sa dernière vidéo, Alain Soral épilogue sur les riches musulmans de Neuilly qui s'entendent comme larrons en foire avec sionistes et cathos du coin, sans que la religion y fasse le moindre obstacle. J'ai déjà écrit des choses de ce genre, je souscris toujours à ce point de vue. Je suis de même pleinement d'accord sur les analyses relatives à la stratégie consistant à « diviser pour régner ». Tout ce qui peut montrer, dans la ligne des propos de Beau de Loménie, comment certains, tout en faisant semblant de se disputer, s'entendent de manière occulte sur le dos des pauvres, est bon à savoir, parce que, tout simplement, vrai. Enfin, je maintiens qu'un travail d'accoutumance des Français d'origines diverses les uns aux autres se fait au jour le jour, à l'école, au travail pour ceux qui en ont, etc. - sans que d'ailleurs le type anthropologique qui en ressorte soit nécessairement enthousiasmant, mais c'est une autre affaire. Autant dire que je me trouve en pays ami dans ces textes.
Ce qui ne peut que gêner, néanmoins, c'est une sorte de naïveté marxiste indissociable des stratégies théoriques dites de dévoilement, comme si, une fois que l'on avait montré le caractère artificiel de certaines querelles, celles-ci allaient s'évanouir d'elles-mêmes. Essayons ici de bien distinguer ce qui doit l'être :
- avec et malgré ses côtés Don Quichotte, Alain Soral lui-même n'est pas, humainement parlant, un naïf - au point sans doute de déprimer ses aficionados par certaines déclarations parfois mélancoliques ou désabusées ;
- en toute rigueur, le marxisme (ou, autre stratégie du dévoilement, le freudisme) n'implique pas que la mise au jour de certaines structures de domination cachées entraîne automatiquement la disparition de ces structures ;
- et pourtant, il y a dans toutes ces théories une espèce de sous-estimation de fait des différences culturelles, un matérialisme sous-jacent, qui tout en ayant un fonds de réalité, génèrent leurs propres illusions.
Ces illusions peuvent être d'ordre pratique, à la réception de ces théories : la croyance chez l'amateur d'Égalité et réconciliation que si tous les pauvres se tendent la main tout sera pour le mieux dans la meilleure des France, etc. - à charge pour ceux qui savent que ce n'est pas si simple de le rappeler, de rendre Billancourt lucide, pour ainsi dire ;
ces illusions sont aussi issues d'un certain égalitarisme prosaïque que l'on peut me semble-t-il déceler chez Soral, ou, d'une autre manière, chez Bourdieu. On retrouve là d'ailleurs, sous un autre angle de vue, la récente querelle entre Soral et M.-É. Nabe. Le premier dirait du second qu'il est un esthète petit-bourgeois ou quelque chose de ce genre, il reste qu'il y a chez celui des deux qui est un artiste le sens de la beauté de la variété des choses humaines que l'on ne sent pas au même degré chez Alain Soral.
C'est ici que les Athéniens s'atteignirent, et que je m'arrête. La suite logique de ces analyses amène, ainsi que je l'évoquais en préambule, à des généralités qui ont besoin de leur propre espace pour être exprimées avec la précision qui seule peut leur permettre ne pas équivaloir à des banalités. Afin de remercier ceux qui sont allés jusqu'au bout de ce texte, une petite récompense - à regarder en entier, le Godfather y est lui-même jusqu'au bout.