jeudi 29 juin 2006

Questions et réponses (III). - "La volonté n'a pas dit son dernier mot."

Questions et réponses I.

Questions et réponses II.

(Fin du texte.)



Et voici la dernière partie de l'entretien entre Julien Freund et Pierre Bérard.

Je dois signaler une coupure plus importante que celles que j'ai pratiquées jusqu'ici : un développement, dans une optique psychanalytique, de P. B. sur l'apprentissage de l'autorité par l'individu dans son enfance. Je l'ai supprimé d'abord en raison de sa longueur, ensuite parce que, ne m'intéressant que fort peu à la psychanalyse, il m'a paru stimulant de montrer par l'exemple que les raisonnements des deux hommes pouvaient se tenir sans avoir recours à ce type de concepts. L'idéal serait une comparaison raisonnée entre l'approche psychanalytique et l'approche d'un Wittgenstein de l'apprentissage de la règle. Avis aux amateurs !


P.B. - Harcelés par des antécédents criminels mais pressés de se faire admettre dans l'humanité post-totalitaire, les Allemands se sont faits récemment les oblats opiniâtres d'une nouvelle coquecigrue ; le patriotisme constitutionnel à la Habermas...

J.F. - Du point de vue sociologique, c'est une absurdité, car il n'y a pas de société qui pourrait être une création ex-nihilo. Il n'y a pas d'être-ensemble sans ancrage identitaire. Les groupes humains ne peuvent pas vivre en apesanteur. La théorie d'Habermas, c'est une nouvelle version du syndrome utopique qui travaille les idéologues depuis le XVIème siècle, mais elle est révélatrice d'une aporie. Elle prétend en effet fonder son patriotisme sur l'abjuration des pères. Il s'agit donc de tout autre chose que de patriotisme...

P.B. - Illustration de la pseudomorphose selon Spengler. Le mot demeure incrusté dans la langue, mais il a changé de signifié.

J.F. - Il ne désigne plus que des nuées... Déguisé en Ayatollah de la vertu, Habermas profère des fatwas. Il se félicite de la débâcle des méchants qui depuis toujours auraient précipité l'Allemagne dans un bellicisme sanglant...

P.B. - Depuis que les Chérusques firent un mauvais sort aux légionnaires romains de Varus ?

J.F. - Pourquoi pas, pendant qu'on y est ! Après avoir déblatéré sans répit, quand tout a été déblayé, épuré, à quel fondement accrocher l'être collectif allemand ? Les fondements nous précèdent nécessairement. Mais quand tout ce qui nous précède est condamné à la débandade, sur quoi fonder la légitimité ? Sans doute sur un futur immaculé puisque imaginé selon les seuls mécanismes de la raison désincarnée... C'est l'essence même de l'utopie progressiste.

P.B. - Si nous résumons nos propos, nous pouvons dire que recru de brimades, le passé est aujourd'hui en déroute. Ajoutons qu'on n'en exhume les fonds de tiroirs que dans le seul but de nous jeter à la face les preuves de notre constante cruauté. Mais il y a autre chose. A propos des Allemands vous venez de parler de génération orpheline. La scélératesse des pères empêche en effet qu'on s'en réclame ingénument. Les mères en revanche paraissent mieux s'en tirer. Le discours contemporain, encore une fois depuis les années soixante-dix, tient de toute évidence à les disculper. Et pour ce faire, il les enrôle sous la bannière du féminisme, dans ces catégories souffrantes que les "mâles, blancs, morts", comme on dit sur les campus américains, auraient depuis toujours tenues sous leur férule.


Féminin, économie, fin de l'histoire.


J.F. - Ma réflexion ne m'a jamais conduit vers ces questions, mais vos remarques sur le féminisme me ramènent à Auguste Comte, un penseur que j'ai beaucoup pratiqué. Comte, vous le savez, est l'inventeur du concept de sociologie. Comme les contre-révolutionnaires de son temps, il est conscient de la béance ouverte par la Révolution de 1789 ; c'est ainsi qu'il parle de l'immense gratitude des positivistes vis à vis de Joseph de Maistre et qu'il révoque les faux dogmes de l'individualisme et de l'égalitarisme. Il se veut tout autant l'héritier que le liquidateur de la Révolution. Comment surmonter l'individualisme dissolvant des modernes ?

Peut-être le mot n'est-il pas choisi au hasard : Maistre justement parle du protestantisme comme "dissolvant universel", expression que j'ai une fois reprise pour l'appliquer au capitalisme.

C'est à cette question qu'il tente de répondre et il le fait de manière mixte. En effet, à la différence des contre-révolutionnaires qui proposent une solution rétrograde assise sur la restauration du trône et de l'autel, Comte partage la certitude des Lumières selon laquelle l'humanité tend irrésistiblement vers l'unité cosmopolite. Cette convergence planétaire qu'il voit s'accomplir, comme les libéraux, par le truchement de l'économie, il entend la parachever et la corriger au moyen d'une nouvelle religion. Pour lui, il ne fait pas de doute qu'une communauté humaine ne peut assurer la fonction intégratrice nécessaire à la durée que par le lien religieux. Cette nouvelle religion fait la part belle aux savants, aux prolétaires et surtout aux femmes qu'il dépeint comme les préceptrices idéales de l'altruisme. Le féminisme de Comte reflète la prépondérance qu'il attribuait au sentiment. Une telle assimilation lui vaudrait sans aucun doute les sarcasmes, voire l'ire des féministes d'aujourd'hui... Bref, c'est la puissance affective impartie au coeur féminin qui permet de recoudre les lambeaux d'une société mise à mal par le bouleversement de 1789. Comme l'a montré Robert Nisbet, c'est toute la problématique de la sociologie naissante.

R. Nisbet : La tradition sociologique, PUF, 1984, édité aux Etats-Unis en 1966. Je m'enorgueillissais dans mon coin de trouver des rapprochements entre Dukheim et Chateaubriand, cela fait quarante ans qu'un livre a été publié qui explique pourquoi. Le peu que j'en ai lu a l'air sobre et intéressant.

Qu'est-ce qui peut relier les hommes quand ils ne sont plus confinés dans les ordres traditionnels et leurs réseaux d'obligations réciproques, quand l'obéissance ne va plus de soi ? Ce n'est pas tant la réponse constructiviste, en fait une religion d'intellectuel, qui fait l'originalité de Comte que le rôle souverain qu'il confère aux femmes, prophétesses d'une humanité régénérée. Cimentée par la religion de l'humanité, sa société positive met un terme aux errements de l'histoire humaine et ce dénouement... c'est ça qui est important, correspond avec la consécration du genre féminin.

P.B. - Culmination sociale de la femme et fin de l'histoire composent donc un système cohérent ?

Et revoilà Muray... Mais nos deux protagonistes ne vont pas oublier nuances et contradictions.

J.F. - Pour Auguste Comte, c'est une évidence ; avec la techno-science et la tyrannie du sentiment. C'est comme cela qu'il se figure l'émancipation définitive. Ce qui est capital, c'est l'amalgame notifié par Comte entre féminisme et accession à un universel réalisé. Il inaugure un épisode dans lequel nous continuons de patauger.

Ceci étant dit, pour interpréter l'irruption conquérante du féminin dans le registre du politique, il faut aller au-delà du discours de Comte même si quelque chose d'inaugural se manifeste chez lui. En effet, comme chacun sait, la société traditionnelle pose la figure du père au centre de son imaginaire collectif. Il n'y a là nulle misogynie mais un partage des rôles qui attribue à la masculinité tout ce qui relève de la verticalité. Dans ces communautés, seuls les pères disposent du pouvoir symbolique d'engendrer, aussi bien le père de famille dans le domaine du privé, que le roi, père de ses peuples, dans la sphère du politique. De même Dieu est-il posé en père de l'humanité. Le modèle est organique et c'est la puissance d'engendrement du père qui justifie son pouvoir symbolique, même si, je le concède volontiers, il en va tout autrement dans l'ordre concret du domestique où les maîtresses-femmes n'étaient pas plus rares qu'aujourd'hui. Mais, ce n'est pas le concret quotidien avec ses multiples compromis qui importe ici, mais la métaphore qui traverse tant l'imaginaire des Anciens.

Au rebours de cette représentation qui inscrit le social dans l'ordre de la nature et de la reproduction, la société démocratique des modernes est supposée s'engendrer elle-même. Elle rejette la loi organique qui régit l'ensemble du cosmos et prétend, insolemment, ne devoir son existence qu'à la libre volonté de ses sociétaires. C'est un nouveau régime mythique qui se met en place. La société y survient ex-nihilo... à partir d'une table rase, d'où sa difficulté à concevoir des antécédents susceptibles de la déterminer. Récusant la naissance, faisant son deuil du fardeau de l'ascendance, elle veut lire dans ses origines séraphiques la promesse de son émancipation infinie.

La nature est ici congédiée au bénéfice de l'artifice et du fantasme de la maîtrise. Les modernes ont substitué l'artifice à la nature et leur société étant conçue idéalement comme une construction purement volontaire est du même coup considérée comme indéfiniment malléable, perfectible à souhait sur le modèle de la technique.

A la vérité, je ne suis pas sûr que Julien Freund n'exagère pas la différence entre ces deux conceptions, au moins quant à l'attitude des individus dans leur vie quotidienne. On retrouve ici le débat Descombes-Castoriadis longuement évoqué dans l'annexe 2 du texte "Pas de liberté pour les amis de la liberté". Pour résumer : que nos sociétés soient délibérément, quoique dans des mesures différentes, artificialistes, ne signifie pas que les sociétés traditionnelles ne sentaient pas un peu, aussi, qu'elles l'étaient, et qu'elles croyaient tant que cela à une nature immuable. Il faut évidemment distinguer selon les cas. Quoi qu'il en soit, il est sûr que l'idée de nature a l'avantage, pour employer justement un terme cher à Castoriadis, de favoriser l'autolimitation des ambitions des hommes.

L'idée d'une sociabilité intrinsèque à la nature humaine se trouve supplantée par la fiction d'un contrat fondateur d'essence marchande prescrit par la convergence des intérêts, qui elle-même commande la résolution des individus contractants. Les sociétaires sont libres d'en amender les termes pour autant que l'utilité l'exige. Cette philosophie qui ne veut voir dans la société que le produit de conventions arbitraires, quoiqu'elles soient dictées, en dernière instance, par les déterminants économiques, implique aussi bien la réforme que la révolution, les ajustements empiriques que les bouleversements violents...

P.B. - Bien sûr, le rejet de tout principe transcendant conduit au marivaudage législatif... Issue donc du miracle contractuel, la société se laisse interpréter comme une parfaite épiphanie. Sans père, sans mère, sans généalogie, elle tombe toute faite, non pas de la cuisse de Jupiter, mais du ciel des idées. Mais alors, pourquoi ce retournement des polarités ? Pourquoi passe-t-on d'une symbolique verticale et masculine quand on honorait les racines, le lignage, la continuité à une modernité d'autant plus réfractaire à l'image paternelle qu'elle décline toute obligation à l'égard de la souche générique ? Car il ne fait guère de doute que notre présent se reconnaît dans l'allégorie féminine. La métaphore féminine imbibe la lecture du social et du politique.

J.F. - La femme comme genre, sans doute ; pas la femme comme mère, toujours plus occultée... évacuée du système référentiel.

P.B. L'individu contractant exige la reconnaissance de ses droits mais ne veut admettre aucune dette. La déliaison est la fausse monnaie inéluctable de sa liberté. Donner, recevoir, rendre : c'étaient les trois séquences du système de don qui instituait le lien communautaire.

Mauss, of course.

L'économie était alors sous la coupe du social et du politique. Ce lien se dissout aujourd'hui au rythme de l'extension démesurée de l'ethos libéral et des procédures de marché. De même la conscience historique se décompose-t-elle dans le refus présentiste de l'héritage. De même qu'on se refuse à reconnaître toute obligation dans la dimension horizontale, celle qui implique les contemporains ; on s'y soustrait également dans la dimension verticale, celle des générations successives. Ni les ancêtres, ni les successeurs ne font sens. L'obligation de rendre est devenue une corvée, une servitude que seul l'impôt, paradoxalement de plus en plus lourd

ça dépend pour qui !

, se charge d'assumer dans l'anonymat bureaucratique. La transmission est en jachère... Nous payons très cher la rançon de la liberté moderne. Vous avez raison ; la mère après tout est aussi bien légataire que le père...

J.F. - L'individualisme... l'individualisme de masse est en train de déglinguer l'Europe. Mais je ne suis pas décliniste comme certains le prétendent : nous ne sommes pas surplombés par les exigences mystérieuses du fatum. Et, disant cela, nous nous affirmons aussi comme des modernes. La volonté n'a pas dit son dernier mot... Et puis, il y a l'aléa ; tout ce qui vient gâter le bel ordonnancement des plans, des projections, des programmes toujours dictés par la vue basse et le conformisme. Le désespoir serait une sottise. Il ne faut pas abdiquer.

P.B. - Je reviens à cette Allemagne dont nous parlions. La mue post-totalitaire s'est opérée là-bas sous le signe de la déchéance des pères. Leur débâcle fut d'autant plus facile à solder que tous avaient porté l'uniforme des maudits. La damnation collective qui les frappait leur arrachait également ces titres consacrés par le temps qui les avaient depuis toujours porté à transmettre et à incarner. Avec l'autorité, principale cible de la dénazification, cette vocation leur était définitivement déniée. Ils sont devenus des producteurs et des consommateurs prosaïques, rivés dans leur mutisme, aussi consciencieux dans la voie de la "normalisation" qu'ils l'avaient été dans celle du "Sonderweg".

"Autre chemin" - il s'agit du mouvement de recherche par les Allemands de leur propre spécificité en tant que peuple, particulièrement par rapport à la France et à l'Angleterre.

L'Allemagne, me semble-t-il, a surjoué le parricide, non pour se délester du fardeau de la culpabilité - cela lui est interdit - mais pour en alléger le poids. En se débarrassant de géniteurs encombrants, elle tentait de prouver sa bonne foi démocratique. N'oublions pas que les fascismes ont souvent été interprétés comme des manifestations du syndrome machiste... (...) Si demeure en Allemagne une forme potentielle de despotisme, c'est bien celui de la guimauve. Au Führer Prinzip, caricature du principe masculin, succéderait un Etat d'essence maternelle. Après le big-brother totalitaire, la big-sister maternante.

J.F. - La boutade est amusante, mais ce que vous décrivez n'est pas un épiphénomène allemand. C'est une évolution qui touche l'ensemble de l'Occident. Ses origines ne sont pas réductibles à un terreau national particulier.

P.B. - Je suis d'accord, mais savez-vous, pour l'anecdote, qu'en Allemagne justement, dans les toilettes mixtes, les hommes sont exhortés à uriner assis. Cet exemple saugrenu montre que la parité taille sa route par des détours insolites.

J.F. - Ils sont obsédés par l'hygiène, comme les Américains du nord. Descartes notait déjà ce trait dans la Hollande calviniste du XVIIème siècle. Mais il ne faut pas s'y tromper : c'est toute la modernité qui dévale cette pente. Il y a une revendication démesurée des droits qu'un Etat ramolli et bienveillant s'efforce de satisfaire, car cette demande qui lui est adressée, elle contribue aussi à le légitimer. Le droit à la santé par exemple s'intègre dans cette extension illimitée, d'où le risque d'un despotisme thérapeutique. Car, enfin, la gratuité des soins conduit automatiquement l'Etat, dispensateur et gestionnaire du système de santé, à organiser une prévention collective toujours plus vigilante au nom de la rentabilité. La société du contrôle total est au bout de l'idéal hygiénique. Aboutissement qui n'est pas antinomique d'un Etat faible, d'un Etat apathique en tous cas dans le registre des fonctions régaliennes...

P.B. - L'oxymore de la puissance faible... L'Etat omnipotent et impotent.

J.F. - Oui, c'est ça. La santé ... L'obligation sanitaire pourrait être dans un proche avenir au fondement d'une nouvelle forme de totalitarisme. Le refus pathologique du vieillissement et de la mort, intimement lié à cet effacement de la transcendance dont nous parlions laisse aisément présager l'aptitude de nos contemporains à consentir au cauchemar climatisé dont parlait Bernanos. Le harcèlement que nous subissons à propos de l'alcool et du tabac donne un mince avant-goût de ce que nous pourrions subir. Nous sommes talonnés par des instruments de surveillance toujours plus sophistiqués, sans que cela ne soulève de réelles protestations. C'est la face noire du jeunisme qui nous assaille.

Tout cela est indéniable, malheureusement, mais il faut ajouter un correctif d'importance : dans les pays comme les Etats-Unis, où il n'y a pas de gratuité des soins et où les fonctions régaliennes de l'Etat ne sont pas négligées - en admettant d'ailleurs que ce soit à ce point le cas en France, mais passons -, on observe encore plus l'essor de ce "cauchemar climatisé". C'est un mouvement social plus profond que la question de la Sécurité sociale - hélas !

Et le sportif exemplaire, la star athlétique, le dieu du stade, objet de toutes les sollicitudes publicitaires, c'est le point de mire de toute cette mécanique. C'est l'icône pathétique d'une propagande qui promet la rédemption du corps par un nouveau régime de salubrité imposé.

P.B. - Un sportif bourré d'hormones et d'anabolisants.

J.F. - Oui, c'est le triomphe du modèle artificialiste au nom d'une santé "naturelle" qui n'a rien à voir avec la nature.

P.B. - On pourrait gloser sur l'usage de plus en plus massif des psychotropes et sur cette diététique de facture industrielle qui vient briser les identités alimentaires. Autant de remèdes qui contribuent à détruire l'entre-soi sociétal et à renforcer le conditionnement individualiste. Dans le premier cas le dépressif est fortifié dans sa solitude par la camisole chimique ; ce n'est pas la relation aux proches qui le délivre de son mal. Dans le second cas, c'est la liturgie des repas familiaux et la commensalité amicale qui sont sacrifiés au nom du "régime", de la "forme", cette condition favorable aux performances, dont l'horizon s'éloigne sans cesse, avivant la déprime et le dégoût de soi. Derrière tout cela se profile la boulimie, bien réelle celle-là, des grands groupes pharmaceutiques et des multinationales de l'agroalimentaire. C'est l'obsession hygiéniste qui génère leurs profits ; c'est aussi pourquoi ils sont si prompts à sponsoriser l'élite sportive.

Avec l'ethnologie du quotidien, on peut certes tout magnifier, mais dans le cas présent P.B. a bien raison.

J.F. - Vous savez, dans la perspective de ce que vous disiez tout à l'heure concernant big-sister, il faudrait se pencher sur ces deux évolutions parallèles, l'infestation de tout l'édifice social par l'économique et cette montée en puissance, non tant de la femme mais du féminin.

Précision importante, qu'il faudrait faire ou garder à l'esprit à chaque fois que l'on aborde ces sujets. Ce ne serait pas un coup de baguette magique, mais cela éviterait d'inutiles malentendus.

Il faudrait réfléchir à cela en partant de l'étymologie du mot "économie".

P.B. - L'oikos, évidemment. Chez les Grecs, c'est à la fois la gestion du domestique et le territoire imparti au règne de l'épouse. Si l'on suit les analyses de Louis Dumont, cet ensemble constitue un espace hiérarchiquement subordonné à l'espace politique qui est par définition celui des hommes, des citoyens. Si l'on en croit les éthologistes, cette répartition des rôles doit venir de très loin. Ce n'est d'ailleurs pas une raison pour la sacraliser. Cette répartition a été très consciemment réfléchie par les penseurs grecs dans le souci de distinguer le privé du public. Elle implique une inégalité des sexes qui n'est pas tant une inégalité des personnes qu'une sévère hiérarchie des fonctions que la tradition leur attribue. S'ajoute à cela dans le récit mythologique, décrypté par Vernant, l'idée d'une dangerosité spécifique au sexe féminin. C'est ce qu'exprime clairement le mythe de Pandore. Une propension à l'hybris que le politique a pour mission de contenir. Le christianisme s'est greffé sur cet héritage mythique avec la morale du péché. Chez les Grecs, la femme est seconde du fait de ses activités ; dans la théologie chrétienne, elle est ontologiquement dépréciée du fait de son rapport privilégié avec le péché. Ce qui préoccupe les Grecs, ce n'est point la morale ; c'est le destin politique de la cité. Bien sûr, il est tentant de déchiffrer notre époque en nous adossant à ces origines. Il est évident que l'assomption de l'économie, le déclin du politique y préludent à la primauté du principe féminin. Mais je sais que vous vous défiez des analogies...

J.F. - Celle-là peut paraître lumineuse, mais il faut se garder des simplifications.

Ici démarrait le développement de P.B. que j'ai supprimé. Observons en passant la parenté de sa démarche avec celle d'un Castoriadis : réflexion historique et politique d'un côté, psychanalytique de l'autre.

P.B. - On constatera que les slogans mis en orbite par les barricadiers ont légitimé la consommation sans entrave en lui conférant une signification "progressiste" et émancipatrice que le capitalisme disciplinaire d'autrefois axé sur le travail et l'épargne était bien incapable de lui attribuer.L'hybridation libérale-libertaire ne tient pas du hasard. Elle est l'expression idéologique de ce nouveau régime psychique. La cristallisation libérale-libertaire en nouvel horizon indépassable suppose des individus conformés pour n'avoir d'yeux, effectivement, que pour cet horizon, là. Dans cette perspective, le père symbolique, cette allégorie du négatif, cette autorité qui réfrène et oblige la pulsion au sursis pour la traduire en aménité sociale... ce père devient un obstacle au fonctionnement du système. A la limite, il est un frein à la croissance. Comme le sont aussi l'instituteur et le professeur qui ne se résignent pas à devenir les auxiliaires "cool et sympa" de l'industrie des loisirs. D'où cette image répulsive du père forgé depuis vingt ans : père-la-pudeur, père fouettard et autre croquemitaine et aussi cette caricature colportée par ces légions de "psy", salariés de l'actuel, sur la forteresse familiale, ultime bastion du totalitarisme. Bref... le père c'est le fascisme ! Un quotidien comme Libération est emblématique de cette convergence. Féministe, libertaire, libéral ; le tout étant articulé au bénéfice du capital.

J.F. - Vos propos sont trop tranchés... Ils détonnent avec ce que l'on peut lire dans Eléments qui se positionne toujours, à ma connaissance, pour la réhabilitation de la femme, en réaction à l'héritage chrétien qui, d'une manière évidente, véhicule une conception péjorante du féminin quoi que puisse dire les théologiens sur le culte marial. Ma génération, vous le savez, a été très marquée par la première guerre mondiale et ce que j'ai pu constater, c'est qu'en l'absence des hommes massivement mobilisés, les femmes surent alors élever leurs enfants selon des principes qui sont ceux que vous assignez, de façon trop systématique, au pôle masculin. L'évolution contemporaine dont vous soulignez à raison les carences éducatives... cette évolution disais-je, touche l'ensemble des individus par-delà leur genre. Et puis, fondamentalement, dans l'élevage de l'enfant, la mère incarne, au moins autant que le père, cette instance du négatif qui raffine l'instinct afin de le transmuer en un désir compatible avec les nécessités de la vie sociale. Quant à la famille... bien sûr, elle est vilipendée. Mais ce n'est pas nouveau. Souvenez-vous de Gide. Pour certains, elle apparaît comme la butte-témoin d'un ordre obsolète contrevenant à l'individualisme radical. Mais elle résiste tant bien que mal, s'adaptant avec souplesse à toutes les inflexions du monde moderne. Cette résistance organique et l'adhésion que lui témoignent les gens imposent un démenti cinglant aux extravagances du nihilisme idéologique. Ceci étant dit, l'idée d'un hybris moderne couplé à cette arrogance dont nous parlions me paraît assez juste...

P.B. - L'hybris des Grecs était étroitement normée par le religieux. Comme le carnaval médiéval annonçant quarante jours de carême. L'hybris individuel de masse défait la société pour bénir le marché. Mais qu'est-ce qu'un marché sans substruction sociale ? Le marché sans les entraves du lien, c'est le chaos.


Nouvelle Droite, libéralisme.

J.F. - Avec les années, votre critique du libéralisme s'est sans cesse accentuée. A ses débuts, la nouvelle droite était bien moins radicale. J'ai conservé d'ailleurs certains textes de cette époque ; vous ne pourriez plus vous y reconnaître. Je songe à ces odes à l'homme faustien dont vous étiez coutumiers ; toute cette quincaillerie qui fonde la supériorité de la culture européenne sur ses seules aptitudes scientifiques et techniques. L'arraisonnement du monde dont nous sommes évidemment les champions est un mécanisme équivoque qui révèle aujourd'hui toute son ambivalence. La logique économique s'empare de la planète, comme l'avait annoncé Spengler, mais ses effets sont pour l'Europe probablement mortifères. Vous ne croyez plus à cette supériorité en trompe-l'oeil... Vous ne communiez plus dans le dithyrambe faustien.

Intéressant pour un profane de la Nouvelle Droite comme moi. Cela expliquerait en partie pourquoi c'est maintenant que je la croise et la trouve lisible. Encore Castoriadis (qui va d'ailleurs être bientôt cité) : peut-être la Nouvelle Droite a-t-elle appris l'autolimitation. Ceci posé, il y aurait beaucoup à dire - mais on n'a qu'une vie - sur un texte de critique de l'économie comme celui-ci, dont l'auteur est Alain de Benoist.

P.B. - Je ne récuserai pas le risque d'un pacte avec le malin, mais je suis mécréant et je ne crois ni à dieu ni à diable... Cependant, vous avez raison : nos paradigmes ont évolué au fur et à mesure que - j'espère le dire sans forfanterie - que notre réflexion s'approfondissait. Par exemple, je ne pourrais plus parler de supériorité intrinsèque de l'Europe. Un tel jugement n'est concevable que dans une perspective universaliste. Pour que les hiérarchies fassent sens, il faut bien que les valeurs qui permettent de les établir soient unanimement partagées. Or, les valeurs étant l'expression de cultures différentes, toute tentative de classement trahit un ethnocentrisme effronté. Ce que l'on baptise pompeusement l'universel, qu'est-ce donc d'autre, sinon la culture et les préjugés des conquérants ?

J.F. - Vous êtes relativiste !

P.B. - J'incline à penser que l'écart entre les cultures ne relève pas d'une différence de degré, mais d'une distinction de nature, même si, bien entendu, il n'y a qu'une seule espèce humaine. D'où ma réserve, pour ne pas dire plus, vis à vis de cette arrogance occidentale qui pulvérise le pluriversum planétaire avec, il faut bien le dire, la complicité extasiée de la plupart de ses victimes. Ultimes sectateurs de cette occidentalisation, les croisés des droits-de-l'homme ne sont pas ses thuriféraires les plus naïfs. Le moralisme chevillé au corps, ils couronnent un processus qui n'a fait que s'accentuer pour le plus grand malheur de l'humanité. Car, enfin, concrètement, ce qu'on appelle prétentieusement le développement, qu'est-ce d'autre que la métamorphose de la pauvreté en misère. Qu'est-ce donc que la misère ? C'est la pauvreté sans le secours apaisant du groupe, sans les racines partagées, sans l'assurance d'un entre-soi solidaire.

On le devine, je suis d'accord et pas d'accord. Disons qu'ici comme dans les passages précédents il faut voir dans l'universalisme un éventuel point d'arrivée, un guide même peut-être, qu'un illusoire point de départ. Quant à la "métamorphose de la pauvreté en misère" (c'est presque le titre d'un livre récent (que je n'ai pas lu) : Quand la misère chasse la pauvreté, M. Rahnema, Fayard - Actes Sud, 2003), il importe de ne jamais oublier qu'elle est un drame spirituel aussi bien que matériel, puisqu'obligeant les êtres humains à ne se concentrer que sur leurs besoins animaux.

Au nom de la concurrence et de la rentabilité du capital, on exige une flexibilité toujours plus grande des acteurs économiques. La mobilité, le nomadisme sont devenus des facteurs déterminants de la réussite et du même coup des signes de la distinction dans les élites. Si je reprends l'exemple de la famille devenue cette institution fragile et mouvante dont nous parlions tout à l'heure, il est évident que sa forme classique marquée par la stabilité est aujourd'hui perçue comme une rigidité incompatible avec les nouvelles contraintes du salariat.

Ce n'est pas tout à fait vrai aux Etats-Unis, où la famille - mais la plus basique et la plus conservatrice possible - reste une grande valeur. Il est vrai néanmoins que cette famille est brisée, du fait de la mobilité professionnelle et géographique des salariés américains, lors du départ des enfants à l'université (pour ceux qui peuvent y aller).

J.F. - La logique du capitalisme est en effet destructrice et créatrice. Comme Marx le souligne toujours, il bouscule les structures sociales et les mentalités qui font obstacle à son déploiement. Marx se réjouissait de ce maelström continuel, car il y voyait les prémisses de la révolution à venir, mais il ne soupçonnait pas l'aptitude du système à triompher de ses contradictions en se renouvelant au gré des oppositions rencontrées. Cette aptitude à la régénération plaide d'ailleurs pour lui ; mieux que les systèmes rivaux, il a su capter certaines constantes de la nature humaine afin de s'en fortifier. Ceci étant dit, on voit bien que l'économie, aujourd'hui, excède sa vocation et tend à annexer ou à dissoudre des activités dont l'existence et l'autonomie sont nécessaires à l'équilibre de la cité. De toute évidence, les soubassements de la vie collective, à commencer par l'identité culturelle, sont mis en péril par les tourbillons que provoque son déchaînement contemporain. Il y a là une violence économique qui infirme le préjugé de Montesquieu et de sa descendance libérale sur les vertus pacifiantes du doux commerce.

Cette fois-ci, c'est J.F. qui rappelle Castoriadis, et la façon dont il a montré que le capitalisme s'est nourri à partir d'un certain stade des exigences du mouvement ouvrier, les a intégrées et en partie satisfaites pour survivre. Et depuis quelques années, il pense pouvoir se passer de ces concessions. De même que d'autres facilités fournies par le monde pré-capitaliste, tel le fonctionnaire wébérien. Arrivera ce qui arrivera.

P.B. - Les libéraux répondent à cela que l'abondance et la paix surviendront effectivement lorsque le marché aura triomphé des pesanteurs - traduire : les vestiges encore agissant de l'ancien monde - et des trop tenaces préjugés de ses adversaires. En clair, lorsqu'il sera venu à bout de la nature humaine. Ce plaidoyer est une théodicée. Comment en effet se persuader de l'excellence du système compte tenu des maux qui semblent la démentir ? En interprétant ces maux comme autant d'épreuves à surmonter avant la rédemption promise. C'est un discours comparable à celui des marxistes pur sucre selon lesquels le socialisme réellement existant n'est qu'une caricature de leur mirifique utopie. Jamais la vérité du dogme n'est mise en cause. En revanche, on invoque la figure perturbatrice du mal - par exemple, les structures agraires de la Russie de 1917, l'empreinte orthodoxe dans les mentalités, la paranoïa de Staline... Autant d'accidents historiques passibles d'une remédiation. Ces modes de raisonnement sont caractéristiques d'une dérive magique de l'entendement.

J.F. - La France et l'Europe ne semblent pas devoir subir ce monopole impérieux. Les régimes mixtes qui combinent aspirations libérales et aspirations social-démocrates y sont solidement enracinés et le libéralisme, dont l'influence s'accroît effectivement, y paraît très édulcoré.

Ach... flagrant délit d'optimisme ?

P.B. - Deux aspirations qui ont ceci en commun d'être issues de la matrice des Lumières et de surestimer le rôle de l'économie au point de toujours privilégier la croissance comme un sésame en dépit des ravages qu'elle exerce aussi bien sur la biosphère que dans la sociosphère. Il s'agit de deux inflexions d'un même système, comme vous l'avez d'ailleurs écrit à plusieurs reprises. A tour de rôle, chacun de ces deux sous-systèmes est mis en avant pour corriger les excès de l'autre, mais on ne met jamais en question la matrice commune et ses paradigmes. C'est pourquoi les frères ennemis jouissent d'un bail emphytéotique sur ce qui nous reste de vie politique.

J.F. - C'est ce qui conduit Alain de Benoist à relativiser la pertinence du clivage gauche-droite.

P.B. - Oui, c'est un clivage obsolescent quant au fond, un simple label pour identifier des commissions de gestionnaires rivaux ; mais les élites dépensent des trésors de communication pour le maintenir sous perfusion. Il y va de leur intérêt. Cette hégémonie n'est même pas sérieusement contestée par les chapelles d'extrême-gauche dont la présence très active dans ce qu'un de vos collègues appelle les nouveaux mouvements sociaux, prend pour cible privilégiée la famille, l'armée, la religion, l'école autoritaire, etc...

Les cons ! Alliés objectifs du capitalisme !


Génération 68.


Autant de proies chétives, d'objectifs cacochymes, de leurres, que l'évaluation libérale-libertaire du capitalisme s'est depuis longtemps employée à déconsidérer et dont les vestiges, objets de railleries consensuelles, ne peuvent plus être considérés comme des forces agissantes et, à fortiori, comme des instruments d'oppression. En blasphémant des idoles déchues, ils participent de cette "insignifiance" dont parle Castoriadis pour qualifier ce présent où nous avons à vivre. C'est un fait, la clameur "contestataire" enfle au rythme où s'épuise son imaginaire révolutionnaire. On notera par ailleurs que cette clameur trouve un écho complice dans ce qu'il faut bien appeler la presse "patronale", ce qui est tout dire de la capacité subversive que lui reconnaissent les classes dirigeantes. En vociférant contre les vestiges de l'ancienne société, la dissidence de confort apporte sa modeste contribution à l'entreprise de bazardement qui doit faire place nette aux stratégies de recomposition d'un capitalisme mondialisé. Leurs diatribes contre la France frileuse, le repli identitaire, le tribalisme xénophobe...

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c'est cela : la version jeuniste, lyrique et bigarrée d'une raison libérale qui a fait le choix de la globalisation et considère, en conséquence, les frontières comme des obstacles à effacer. Favoriser la porosité des territoires pour que demeure seulement un espace homogène de consommation. Le monde sans frontière dont rêvent les gauchistes ressemble furieusement à un terrain de jeu pour multinationales en goguette. Pour en conclure avec les gauchistes, je voudrais dire un mot sur ce que des détracteurs trop frivoles appellent leur opportunisme. Assurément, nombre d'entre eux se sont "ralliés" au système qu'ils croyaient combattre. Beaucoup font " carrière " dans la publicité, le journalisme et les appareils. On les découvre au sommet des "partis de gouvernement", des syndicats et même du C.N.P.F. Il y a comme un gauchisme d'Etat et beaucoup se gaussent de ces itinéraires. Pourtant, je ne parlerai pas d'apostasie, mais plutôt d'une vocation aboutie. L'hypothèse de la palinodie n'est en effet recevable qu'à deux conditions. D'abord, considérer que la polarité gauche-droite permet de rendre compte de toutes les opinions. Ensuite, rattacher le libéralisme à la droite historique.

Le cas Constant va effectivement dans le sens de P.B. - et d'ailleurs ceux qui se réclament aujourd'hui plus ou moins de lui se disent souvent de gauche.

Or, aucune de ces deux conditions n'est réalisée. A partir du moment où l'on veut bien s'extraire de ce double carcan, les soi-disants revirements prennent une autre coloration. Mon interprétation, c'est que les gauchistes recyclés dans les principaux organes de propagande du système n'ont pas trahi leurs idéaux de jeunesse mais manifestent, enfin, avec éclat, l'impensé que charrie depuis toujours leur conception du monde.

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Leur succès métapolitique, leur capacité à fournir le système dominant en cadres efficaces, la propension des classes dirigeantes à les accueillir en leur sein, sont autant d'épreuves de vérité quant à la nature réelle du libéralisme contemporain et quant aux concepts que le gauchisme véhicule.

J.F. - Toujours la vérification ironique.

P.B. - En effet, il n'y a pas de convergence innocente.

A ce sujet, cela fait quelque temps que je pensais vous recommander la lecture du livre de François Ricard, La génération lyrique, Climats, 2001, qui bien qu'un peu trop dans la lignée Tocqueville-Péguy-Arendt-Kundera-Finkielkraut à mon goût (un peu coincé, quoi), restitue brillamment l'itinéraire de cette génération et montre effectivement la cohérence de son itinéraire, des barricades au pouvoir. On le nuancera tout de même immédiatement sur certains points d'importance - la compréhension de Mai 68 - par la lecture de la belle lettre A un pédé mondain (G. Hocquenghem) de Jean-Pierre Voyer, Hécatombe, pp. 291-310, texte scandaleusement inexistant sur le Net. Ach, vous n'avez qu'à l'acheter !

Libre circulation des capitaux et des marchandises, libre circulation de la force de travail renvoient au même imaginaire. La mondialisation capitaliste est conviée à recycler indéfiniment, à son profit, les déchets d'un internationalisme décrépit. C'est dans la grammaire libérale que doivent désormais s'interpréter les anciennes revendications internationalistes du prolétariat. Quant aux prolétaires réellement existants, dont les experts de connivence se plaisent à souligner la disparition, ils devront s'arranger avec un monde qui reprend d'autant plus volontiers leurs anciens mots d'ordre qu'il les sacrifie à l'avenir radieux de la marchandise. Les crypto-repentis ont fait don à l'oligarchie d'un inestimable présent, le verrou qui scelle toutes les volontés transgressives... Cet antifascisme concocté jadis dans le chaudron stalinien, ragaillardi par son alliage tout neuf avec la religion des droits de l'homme. Commence l'âge du virtuel et nous voici surplombé par le surmoi antifasciste qui impose à tous effroi et tremblements. Pour les authentiques opposants, le choix, c'est le silence des proscrits ou la médiatisation fatale réservés aux épouvantails.

R.I.P. ?

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mercredi 28 juin 2006

Si vis pacem para bellum.

J'ai déjà cité ce passage merveilleux de Chateaubriand :

"Viendra peut-être le temps, quand une société nouvelle aura pris la place de l'ordre social actuel, que la guerre paraîtra une monstrueuse absurdité, que le principe même n'en sera plus compris ; mais nous n'en sommes pas là. Dans les querelles armées, il y a des philanthropes qui distinguent les espèces et sont prêts à se trouver mal au seul nom de guerre civile : "Des compatriotes qui se tuent ! des frères, des pères, des fils en faces les uns des autres !" Tout cela est fort triste sans doute : cependant un peuple s'est souvent retrempé et régénéré dans les discordes intestines. Il n'a jamais péri par une guerre civile, et il a souvent disparu dans des guerres étrangères. Voyez ce qu'était l'Italie au temps de ses divisions, et voyez ce qu'elle est aujourd'hui [une colonie autrichienne, ou peu s'en faut]. Il est déplorable d'être obligé de ravager la propriété de son voisin, de voir ses foyers ensanglantés par ce voisin ; mais, franchement, est-il beaucoup plus humain de massacrer une famille de paysans allemands que vous ne connaissez pas, qui n'a eu avec vous de discussion d'aucune nature, que vous volez, que vous tuez sans remords, dont vous déshonorez en sûreté de conscience les femmes et les filles, parce que c'est la guerre ? Quoi qu'on en dise, les guerres civiles sont moins injustes, moins révoltantes et plus naturelles que les guerres étrangères, quand celles-ci ne sont pas entreprises pour sauver l'indépendance nationale. Les guerres civiles sont fondées au moins sur des outrages individuels, sur des aversions avouées et reconnues ; ce sont des duels avec des seconds, où les adversaires savent pourquoi ils ont l'épée à la main. Si les passions ne justifient pas le mal, elles l'excusent, elles l'expliquent, elles font concevoir pourquoi il existe. La guerre étrangère, comment est-elle justifiée ? Des nations s'égorgent ordinairement parce qu'un roi s'ennuie, qu'un ambitieux veut s'élever, qu'un ministre cherche à supplanter un rival. Il est temps de faire justice de ces lieux communs de sensiblerie, plus convenables au poëtes qu'aux historiens : Thucydide, César, Tite-Live se contentent d'un mot de douleur et passent."

Sans doute ces idées peuvent-elles être discutées, mais elles m'ont suggéré une proposition que je voulais soumettre à l'attention générale : si les "Français de souche" et les "Français issus de l'immigration" se détestent tant que cela, pourquoi ne vont-ils pas régler ça dehors une fois pour toutes ? Une bonne petite guerre civile permettrait de crever les abcès, d'apprendre à mieux se connaître (depuis que nous ne combattons plus les Allemands, nous ne savons plus rien d'eux), voire à se respecter (le petit blanc en a-t-il encore sous la semelle ? Ce serait un test), avant qui sait de repartir sur de bonnes bases, un peu plus sereins.

Si la guerre pousse les gens à se dépasser eux-mêmes, ce qui en ces temps de "Marche des fiertés", où l'on s'enorgueillit de défiler en compagnie d'hommes politiques et sous la protection de la police, n'est certes pas bien difficile, dans la mesure où un conflit militaire entre la France et un pays de potentiel égal aurait de fortes chances, dans le contexte technologique actuel, de virer à l'apocalypse nucléaire, solution que malgré certaines tentations je préfère ne pas encore appeler de mes voeux, eh bien quelques beaux combats de rue pourraient faire l'affaire. Et puis Serge July a désormais du temps à perdre, ça lui rappellerait sa jeunesse folle.

Bien sûr je me retrouverais, cas épineux, devant l'obligation de choisir mon camp. Sans doute les "Français issus de l'immigration" le choisiraient-ils pour moi. Bien, tel le général Lee, je resterais fidèle à mes origines, quoi que je pense de ce que mes "concitoyens" et "contemporains" en font chaque jour.

Cette référence à la guerre de sécession, laquelle a permis aux Etats-Unis de produire leurs meilleurs romans, m'amène d'ailleurs à penser que nous pourrions ainsi faire d'une pierre deux coups et nous mettre dans les conditions d'avoir quelque chose de bon à lire d'ici une vingtaine d'années.

Ca carbure, ici.

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samedi 24 juin 2006

Qu'en dire ?

Je retranscris une dépêche AFP de ce jour :

"Les organisateurs de la "Marche des fiertés lesbiennes, gaies, bi et trans" attendent plus d'un demi-million de personnes, à Paris samedi après-midi, pour une Gay Pride à la tonalité "très politique", sur le thème de "l'égalité en 2007".

L'Interassociative lesbiennes, gaies, bi et trans (Inter-LGBT), qui fédère une soixantaine d'associations et qui organise cette manifestation, revendique l'ouverture du mariage aux couples de même sexe et la possibilité d'adopter pour tous les couples non mariés.

Elle demande aussi que les couples de lesbiennes puissent recourir à la procréation médicalement assistée ou que les personnes transsexuelles puissent changer d'état civil sans nécessairement se faire opérer. [??????]

Les manifestants et des dizaines de chars se rassembleront dès 13H00 à Montparnasse, pour défiler jusqu'à la Bastille. Vers 16H00, trois minutes de silence marqueront leur solidarité avec les "100.000 personnes" porteuses du virus du sida en France. Puis Radio FG proposera un concert gratuit jusqu'à 21H00 place de la Bastille. L'an dernier, la police avait dénombré 300.000 participants et 250.000 spectateurs.

Les partis politiques auront presque tous des représentants officiels ou officieux à la "Marche des fiertés" homosexuelles LGBT (lesbiennes, gaies, bi et trans), à l'exception de la droite de la droite, Mouvement pour la France et Front national.

La LCR annonce sa "participation" à la "Marche des fiertés" homosexuelles, réduite tout de même du fait de la tenue au même moment de sa conférence nationale sur la présidentielle 2007.

Le PCF "soutient et participera" à la "Marche des fiertés" homosexuelles, avec des centaines d'affiches, des milliers de tracts et d'autocollants. Le parti rappelle qu'il a pris position en faveur du droit au mariage et de la possibilité de l'adoption pour les couples homosexuels. La présence de la secrétaire nationale Marie-George Buffet n'est pas confirmée.

Les Verts et notamment leur secrétaire national Yann Wehrling "seront fiers de marcher pour une revendication qu'ils ont été les premiers, à gauche, à mettre en oeuvre, sous les huées et parfois les injures des autres forces de gauche à l'époque". Les deux candidats à l'investiture des Verts, Dominique Voynet et Yves Cochet, seront également présents.

Le premier secrétaire du Parti socialiste François Hollande sera présent dans le défilé, comme les candidats à l'investiture socialiste Dominique Strauss-Kahn et Jack Lang, ou le maire de Paris Bertrand Delanoé, un fidèle de la manifestation. Le Parti socialiste disposera pour la première fois d'un char.

Les jeunes de l'UMP ainsi que deux mouvements associés au parti majoritaire, GayLib et les Jeunes actifs (30-45 ans) seront présents dans le défilé, autour du char de GayLib. L'UMP sera également représenté par Jean-Luc Romero, président du parti associé à l'UMP "Aujourd'hui, Autrement" et conseiller régional d'Ile-de-France.

L'UDF sera officieusement représentée par Entr'égaux, une association défendant les droits des homosexuels dont les membres sont sympathisants ou adhérents du parti.

Le Mouvement pour la France de Philippe de Villiers a affiché à l'inverse vendredi sa volonté de "ne pas céder aux lobbies", réaffirmant son opposition au mariage des homosexuels et à l'adoption d'enfants par deux personnes de même sexe.

Le Front national a fait savoir qu'il "n'irait pas car il n'a pas été invité"."

Et puis cette photo :

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Soutenus par tous les partis sauf l'extrême-droite, Ségolène Royal qui vient de s'agenouiller à son tour, je connais beaucoup de militants qui aimerait se sentir aussi discriminés. Mais je dois être homophobe, ou pédé refoulé, ou réac, ou les trois.

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vendredi 23 juin 2006

Questions et réponses (II). - "Il n'y a d'ethnocentrisme et de xénophobie que dans la mesure où il y a pluralité des mondes."

(Fin du texte.)

Questions et réponses I.


Voici la deuxième partie de la conversation entre Julien Freund et Pierre Bérard. Je rappelle qu'on la trouve en intégralité - sans mes commentaires - ici. Bonne lecture !


P.B. - Les libéraux pensent que c'est le marché qui est intégrateur.

J.F. - Le goulag en moins, ce qui n'est pas mince, c'est une utopie aussi dangereuse que celle des Léninistes.

Et on a vu le résultat avec les Léninistes... J'en ai d'ailleurs déjà parlé. De plus, le correctif de l'absence de goulag est de moins en moins juste. Je me souviens d'un article paru sur le réseau Voltaire, article que je n'ai malheureusement pas réussi à retrouver, dans lequel il était écrit, si ma mémoire est bonne, que le nombre de détenus dans les prisons américaines était désormais (proportionnellement à la population) supérieur à celui de détenus dans les goulags soviétiques à leur apogée. Faute de mieux, cet article du même site donne un bon aperçu de la situation actuelle.

Pour répliquer à cette farce du marché comme agent prétendu de l'intégration, il suffit de relire Durkheim. Il n'a pas vieilli sur ce point. Et que dit-il ? Que la prépondérance croissante de l'activité économique est une des raisons de l'anomie, donc, de la détresse de l'identité collective et de la désintégration sociale.

P.B. - Monsieur le professeur... Vous n'avez pas réagi à l'hypothèse que je formulai tout à l'heure concernant cette propension du discours antiraciste à favoriser malgré lui l'actualisation dans le quotidien de toute cette latence raciale, ethnique, tribale... Je voulais dire qu'en interpolant dans ses homélies... dans ses admonestations, de constantes références à ces classifications, il sollicitait pour ainsi dire ses destinataires à interpréter les problèmes de cohabitation qu'ils expérimentent dans ces termes-là. En bref, je suis tenté de penser qu'il contribue à "raciser" les tensions. D'autant que ce discours est performatif. Il vient quasiment du ciel... C'est le pouvoir céleste du devoir-être. Sans compter que les curés y mettent aussi du leur.

J.F. - Pensez-vous sincèrement que les gens aient besoin d'être stimulés par ces élucubrations, même de façon oblique, pour ressentir les choses comme ils les ressentent ?

Ach, tout de même, sans prétendre que les directeurs de conscience médiatiques créent des choses à partir de rien, on peut faire ici, en suivant l'hypothèse de P. B., le même raisonnement que J. F. précédemment (cf. première partie) au sujet de l'élite donnant "quitus à la brutalité de masse". Que l'on ne parle que de race, même en en niant l'existence éventuelle, ou peut-être encore justement parce que l'on en nie l'existence éventuelle, ne peut qu'encourager petit à petit tout le monde à voir les problèmes plus à travers ce prisme qu'à travers d'autres. On le constate aisément lorsque d'infâmes médiocrités comme MM. Raoult ou Sarkozy convainquent les gens qu'ils "parlent vrai" lorsqu'ils dégoisent les pires conneries sur ce thème, car ils occupent un espace de discours, peut-être pas intéressant en tant que tel (encore faut-il le démontrer), mais laissé vide par la bien-pensance.


Histoire, mémoire, deuxième guerre mondiale.


Si l'on tient à établir un lien entre l'univers des discours et la manière dont les gens interprètent leur expérience, il y a selon moi quelque chose de plus frappant qui mériterait d'être creusé ; c'est cette occupation obsessionnelle de nos media par la seconde guerre mondiale ; plus exactement par le nazisme. Vous ne pouvez pas vous en souvenir, mais dans les années cinquante, soixante, Hitler était pratiquement oublié. Nous vivions dans l'euphorie de la reconstruction et, notre actualité politique, c'était quoi ? La guerre froide et les conflits coloniaux, c'est-à-dire des évènements concomitants. Les communistes célébraient pieusement le mensonge de leurs 75 000 fusillés et les anciens de la Résistance se retrouvaient rituellement devant les monuments aux morts. C'était tout. Ce passé, pourtant proche, était en cours de banalisation. Rien d'ailleurs que de très ordinaire dans cette lente érosion ; c'est un critère de vitalité. Aujourd'hui, en revanche, ce passé fait l'objet de constants rappels incantatoires. Hitler est partout, accommodé à toutes les sauces. C'est le nouveau croquemitaine d'une société qui retombe en enfance et se récite des contes effrayants avec spectres, fantômes et golem...

P.B. - Vous ne croyez pas aux revenants ?

J.F. - J'incline à penser que ces revenants sont utiles à certains. Hitler est devenu un argument polémique, et pas seulement en politique. A défaut de vouloir faire l'histoire contemporaine, nous fabriquons du déjà-vu, du simulacre, du pastiche. L'Hitlérisation du présent est un symptôme.

P.B. - La paramnésie ou impression de déjà-vu ; c'est un trouble hallucinatoire ; un signe de grande fatigue dit-on. Mais tous ces regards braqués sur le rétroviseur, cela veut dire aussi que l'avenir a perdu de son prestige. Il ne cristallise plus d'attente messianique. Le progressisme prend soudainement un coup de vieux.

J.F. - Sciences et techniques conservent leur ascendant, mais peut-être, effectivement, ne se prêtent-elles plus aux même amplifications eschatologiques qu'autrefois. L'écologisme grandissant est révélateur d'un désaveu. En tout cas ce Hitler qui nous hante, ce n'est pas celui dont nous célébrions la défaite en 1945, ce führer militariste, pangermaniste et impérialiste, ennemi de la France et de la Russie. Non ; celui qu'on commémore à tout instant pour en exorciser les crimes, c'est l'ethnocrate raciste, antisémite et genocidaire.

P.B. - On ne peut pas lui reprocher d'être anti-arabe ; c'est dommage.

Ici, je suis en désaccord (cf. ce texte, notamment le P.S. 1). Il y a eu une volonté de rapprochement politique avec les Arabes, notamment par la célèbre rencontre avec le grand Mufti de Jérusalem, mais précisément par mépris des Arabes, Hitler n'y a jamais donné suite, au lieu de chercher à les utiliser pour vraiment déstabiliser l'Empire britannique. (Je prends ces renseignements dans le livre de Paul-Marie de la Gorce 39-45, une guerre inconnue, Flammarion, 1995).

J.F. - Ce Hitler qui monte sans cesse à l'assaut du présent pour lui donner du sens, ce n'est pas un objet historique. Qu'est-ce qu'un objet historique ? C'est d'abord une matière suffisamment refroidie, tenue à distance des passions, autant que faire se peut. C'est ensuite une matière à travailler selon les règles éprouvées de la scientificité. Il a fallu plus de deux siècles pour les élaborer... et nous en sommes là ! Comme le diable des prêcheurs médiévaux, Hitler est devenu la caution négative d'une mémoire invasive et impérieuse. Il est interdit de se dérober à son appel sous peine de se voir soupçonné d'incivisme, voire d'obscure complicité avec...

P.B. - ... Avec la " bête immonde "...

J.F. - Pauvre Brecht ! Pour lui le ventre fécond, c'était celui de la social-démocratie. Et tous ces ignares qui le citent de travers !

P.B. - L'antifascisme commémoratif avance au même rythme que l'analphabétisme... Nous frisons l'excès de vitesse. La surexposition du nazisme est l'aliment principal de cette mémoire dont vous parliez. Ce qui me frappe, dans une époque qui se flatte d'obéir aux principes de la rationalité, c'est cette abdication de l'histoire face aux injonctions de la mémoire. La mémoire parle dans un idiome qui n'est pas universalisable, et, d'ailleurs, personne ne s'offusque de voir se répandre dans le langage courant des syntagmes comme "mémoire ouvrière", "mémoire de l'immigration", "mémoire juive". Autant d'usages qui enregistrent et proclament la fragmentation particulariste dont il est derechef interdit de tirer des conclusions. Toujours, la mémoire s'authentifie comme un idiotisme et l'étrange, dans ces conditions, c'est qu'elle soit devenue l'argument fatal de ceux qui se réclament de l'universalisme...

J.F. - La suréminence de cette mémoire prend d'autant plus de relief qu'elle sévit dans une époque de rejet des filiations... d'amnésie massive. Et puis, c'est extraordinaire, son monolithisme sentimental. Un agrégat d'émotions n'est pas susceptible de la moindre tentative d'invalidation. Face à ça, nous demeurons médusés. Le mot qui convient le mieux pour décrire ce climat est celui d'hyperesthésie. Nous sommes à l'opposé de l'ascèse qui préside toujours à l'établissement d'un discours rigoureux. C'est encore Nietzsche qui dans La Volonté de puissance parle de cette irritabilité extrême des décadents... Oui, l'hyperesthésie fait cortège aux liturgies de la mémoire.

P.B. - C'est pourquoi sa carrière ne rencontre pas d'obstacle. Chacun se découvre quand passe la procession du Saint Sacrement. Personne ne veut finir comme le chevalier de la Barre.

J.F. - Voltaire nous manque, ou plus exactement cet esprit d'affranchissement qu'il a su incarner d'une manière si française...

P.B. - L'esprit de résistance ?

J.F. - La Résistance... Le Résistant, c'est un combattant, il fait en situation d'exception la discrimination entre l'ami et l'ennemi et il assume tous les risques. Son image ne cadre pas avec l'amollissement que l'on veut cultiver. C'est peut-être pourquoi on lui préfère aujourd'hui les victimes. Mais assurément, leur exemplarité n'est pas du même ordre. Ce que je voulais vous suggérer, j'y reviens, c'est la simultanéité de ces deux phénomènes ; le ressassement du génocide hitlérien et l'obsession antiraciste. Ils se renvoient sans cesse la balle dans un délire d'analogie. C'est extravagant.

P.B. - La grammaire triomphante du génocide inaugure le règne de l'anachronisme et les nouveaux antiracistes bondissent d'émotion à l'idée d'entrer en résistance contre une armée de spectres.

J.F. - Oui... Ils sont à la fois la résistance et ses prestiges, et l'armée d'occupation avec ses avantages. C'est burlesque.

P.B. - Une mémoire incontinente...

J.F. - Qui épargne les crimes soviétiques, amnistiés avant d'avoir été jugés !

P.B. - Oui, mais leur finalité était grandiose... la réconciliation définitive du genre humain, comme pour les antiracistes... Ce qui mobilise la mémoire unique, ce n'est pas tant la liquidation du passé que sa persécution réitérée. Non seulement la mémoire met l'histoire en tutelle mais elle s'érige en tribunal suprême. Sous son regard myope, le passé n'est qu'une conspiration maléfique. On arraisonne les morts pour les accabler de procès posthumes et dénoncer leurs forfaits. Il n'y a jamais de circonstances atténuantes.

Nietzsche : "Facile résignation. - On souffre peu de souhaits inexaucés quand on a exercé son imagination à enlaidir le passé." Couilles molles !

J.F. - C'est la rééducation du passé par les procureurs de l'absolu. Cette génération hurlante n'a connu que la paix ; ce sont des nantis de l'abondance qui tranchent sans rien savoir des demi-teintes de l'existence concrète dans les temps tragiques. L'ambivalence et les dilemmes sont le lot de ce genre d'époque. Nos pères ne furent pas des couards. Les croisés du Bien ne connaissent pas le doute. Les fins sublimes qu'ils s'assignent balayent tous les scrupules.


Regard sur soi et rapport à l'autre.


P.B. - La réconciliation définitive après la lutte finale contre la xénophobie...

J.F. - La xénophobie, c'est aussi vieux que le monde ; une défiance de groupe, d'ordre comportementale, vis à vis de l'étranger. L'expression d'un ethnocentrisme universel comme l'a rappelé Lévi-Strauss. On veut aujourd'hui la confondre avec le racisme qui est un phénomène moderne ; la confondre pour lui appliquer à elle aussi le sceau de la réprobation. Certes, il y a aussi des expressions chauvines de l'ethnocentrisme qu'il convient de combattre, mais prétendre le réduire absolument, c'est parier sur un avenir où l'idée de société différenciée avec ses particularismes aurait complètement sombré. Il n'y a d'ethnocentrisme et de xénophobie que dans la mesure où il y a pluralité des mondes.

Depuis le temps que je voulais l'écrire, en m'appuyant moi-même sur Lévi-Strauss ! Voilà, c'est fait. Et, sans sortir du sujet, il est évident qu'il en est de même pour les rapports entre les sexes notamment, et que beaucoup de ce que l'on appelle misogynie n'est que l'expression de la conscience d'une altérité. Il ne s'agit bien sûr pas de se prosterner devant les attitudes facilement xénophobes ou misogynes, mais de rappeler que l'on ne peut parler avec les autres qu'en les jugeant (positivement ou négativement).

On peut imaginer - pur exercice d'utopie - que l'effacement des communautés et des identités collectives aboutirait à l'extinction de la xénophobie ; mais en fait à quoi ressemblerait cet Eden ? Selon la fiction de Hobbes, ce serait le retour à la lutte de tous contre tous... une lutte implacable et continuelle, dont seule nous protège la constitution de l'humanité en sociétés organisées et rivales.

Sociétés organisées donc rivales : le tout (facile à dire) est de faire que cette rivalité soit stimulante sans être sanguinaire.

P.B. - La xénophobie, c'est donc le prix à payer pour prévenir la barbarie.

J.F. - Si vous dites ça comme ça, vous serez vous-même traité de barbare ! (...) Le communisme pourrait disparaître mais l'antifascisme parodique survivra à son géniteur, car il arrange trop de monde. Ce fricot, il est toujours sur le feu. Les dispositifs médiatiques de manipulation de l'imaginaire l'ont installé dans l'opinion comme un mode d'interprétation idéaltypique de l'histoire contemporaine. Il faut donc s'attendre à des rechutes à n'en plus finir d'autant que l'analphabétisme historique s'étend au rythme même de l'emprise journalistique sur la culture ambiante. Et ces récidives antifascistes sont d'autant plus inévitables que le fascisme a été érigé en clé de voûte maléfique de tout un appareil de brouillage idéologique et de coercition morale. D'ailleurs le refus de prescrire les crimes qui lui sont liés, et seulement ceux-là, en dit très long sur ce statut d'exception, car c'est toute la tradition européenne du droit qui est ici mise en cause... Une telle adultération de notre humanisme juridique ouvre la voie à des procédures à répétition avec mise en spectacle idoine... Bref, je disais tout à l'heure que le souvenir de la Résistance combattante devait s'effacer parce que son image renvoie d'une manière trop explicite au patriotisme. Il y a donc bien une contradiction entre le recyclage continue d'un fascisme mythique et malfaisant et l'occultation progressive de ceux qui ont combattu le fascisme réel, les armes à la main. Cette bizarrerie tend à montrer que le même mot renvoie bien à des réalités différentes... La Résistance est partie prenante de l'ancien monde, celui des réflexes vitaux qui se mettent en branle lorsque le territoire est envahi par l'ennemi. Les nouvelles de Maupassant montrent très bien cela dans un contexte où le nazisme n'avait pas cours. Or, c'est ce lien quasiment paysan à la terre que l'on prétend aujourd'hui abolir parce que les élites, elles, se sont affranchies de ces attaches... Elles deviennent transnationales et discréditent des liens qui sont pour elles autant d'entraves. Dans ce contexte, le maquisard devient un personnage encombrant... Trop rivé à son sol, à ses forêts, à sa montagne... Au nom de la démystification, il s'agit de priver la Résistance de son prestige. Non seulement la plupart des Français auraient été attentistes ou collaborationnistes, mais même la petite frange des résistants de la première heure devrait être soupçonnée des pires ambiguïtés.

P.B. - Jusqu'en 1942 au moins, beaucoup de résistants ne se définissent pas comme opposants à Pétain et il y a parmi eux de nombreux officiers et même des camelots du roi.

On peut en effet considérer que les Royalistes ont été le premier parti politique à entrer dans la Résistance en tant que parti, bien avant les communistes.

J.F. - Bien sûr, les frontières demeurent floues et c'est justement ça que l'antifascisme rétrospectif ne peut pas comprendre, car il ne fonctionne que dans le cadre d'un manichéisme reconstruit à partir du légendaire communiste. En dépouillant la Résistance de son aura, on dépossède les Français d'un passé glorieux pour les assigner à leur essence perfide. Ils sont déshérités et reconduits à la guerre civile latente et permanente... et par ceux-là même dont la fonction est de fabriquer du consensus.

P.B. - Même au prix du mensonge ? Car enfin, les résistants, comme les collaborateurs, ne furent qu'une minorité.

J.F. - Mais oui, mon cher Bérard, au prix du mensonge !...


Mensonge, unité nationale, responsabilité des politiques.


C'est Machiavel qu'il faut suivre. Certes, il n'y a pas de politique morale, mais il y a une morale de la politique qui implique parfois le mensonge quand celui-ci est utile à la concorde intérieure... Une fois désenchantée, la Résistance ne peut plus être un gisement de mémoire et l'opprobre inocule désormais toute notre histoire... Vous comprenez, la sphère du politique n'est pas celle de l'histoire. L'histoire obéit à des méthodes critiques qui aboutissent nécessairement au désenchantement ; son rôle est démystificateur. Sous son emprise le passé devient trivial. Mais là, c'est autre chose... C'est autre chose pourquoi ? Mais parce que le changement de perspective auquel nous assistons n'est pas le produit de la réflexion historique. Ceux qui le conduisent sont indifférents aux archives ; ce ne sont pas des chercheurs, mais des idéologues. D'ailleurs, aucun chercheur ne pourrait disposer de l'écho médiatique dont ils jouissent. Cet écho démesuré montre que leur discours entre en résonance avec les intérêts du pouvoir, pour des raisons que j'ignore... De même que le résistancialisme des années cinquante permettait de blanchir le passé, et d'amnistier les collaborateurs, la profanation du mythe résistant, d'une France toute entière insurgée contre l'occupant permet de le noircir. De la magie blanche à la magie noire, il y a comme une transfusion de signification, mais on demeure dans la magie ; pas dans l'histoire. Car, si le sens du récit bascule, on ne le doit pas à des découvertes inattendues, à des connaissances nouvelles. Seule change l'interprétation. Hier, elle servait à bonifier. Aujourd'hui, elle s'acharne à péjorer. C'est toujours de la prestidigitation ! Le mensonge de l'immédiat après-guerre colportait la fable d'une France occupée rassemblée derrière de Gaulle. Le mythe était soldé par la condamnation hâtive d'une poignée de traîtres choisis parmi les figures les plus visibles de la littérature et de la politique.

pamphlet

Cette imposture avait une finalité politique honorable ; c'était une thérapie collective pour conjurer la discorde et abolir le risque d'une guerre civile sans cesse perpétuée... Le tournant s'est opérée dans les années soixante-dix, à la fin justement des Trente glorieuses. Ce qui n'était jusque là qu'une poignée de brebis galeuses est devenue l'expression la plus éloquente d'un peuple de délateurs et de renégats. C'est alors qu'on a commencé de parler d'une épuration bâclée et trop rapidement conclue.

Il est dommage que J.F. ne soit pas plus précis sur ce dernier point. D'après les sources que j'ai sous la main - mais il s'agit d'historiens, non de journalistes (L'épuration française de P. Novick, publié aux Etats-Unis en 1968 et en France en 1985, Le syndrôme de Vichy de H. Rousso, 1987), les années 70 ont vu surtout la confirmation par des enquêtes approfondies du nombre de 10.000 exécutions sommaires avancé dès les enquêtes des années 50 et confirmé par le Général lui-même. Dans la mesure où cela rabaissait de manière drastique le chiffre avancé par R. Aron dans des ouvrages très bien vendus (entre 30.000 et 40.000 exécutions), cela pouvait, effectivement et paradoxalement, dans un certain climat, et compte tenu par ailleurs de la persistance dans la mémoire de certains cas épineux et célèbres (Brasillach...) amener à considérer, non seulement que l'épuration avait été mal faite, mais qu'il était important de parler de ce "fait" qu'elle avait été mal faite. Paradoxe supplémentaire, mais nous sommes justement au pays des fantasmes, le même chiffre peut aussi, dans un deuxième temps être considéré comme très élevé, et être utilisé à l'appui de la thèse d'une France massivement lâche pendant l'Occupation, puis massivement violente (et donc de nouveau lâche) lors de l'épuration - ce qui ferait d'une certaine façon se rejoindre Bernard-Henri Lévy et Maurice Bardèche. Mais il faudrait entrer dans le détail des articles de presse des années 70-80 pour mieux saisir l'ampleur et les ambiguïtés de ces balancements.

Epilogue fatal : puisque le crime était collectif, c'est bien la nation dans son essence qui était viciée. Il lui fallait donc expier massivement. C'est aussi à cette époque que de l'Inquisition aux Croisades et aux génocides coloniaux l'ensemble de notre histoire s'est trouvée indexée à la collaboration et à ses turpitudes... Maintenant elle envoûte de sa malédiction l'ensemble du passé... Peut-être est-ce lié au progressisme qui situe le meilleur dans l'avenir et doit en toute logique déprécier le passé pour le ravaler à l'obscurantisme et à la sauvagerie ? Mais les Trente glorieuses pourtant ont été furieusement prométhéennes sans que n'y sévisse ce masochisme extravagant. Il s'agit donc bien d'un phénomène plus profond qu'il faut rapporter à cette morbidité européenne dont nous parlions tout à l'heure. Ce que je constate, voyez-vous, c'est que durant trente ans, les élites, usant d'un pieux mensonge... oui, un bobard... ont célébré un peuple exemplaire en le dotant d'un passé glorieux. Et, simultanément, ces élites se montraient capables d'entraîner le pays dans une oeuvre imposante de reconstruction, jetant les bases d'une véritable puissance industrielle, promouvant la force de frappe nucléaire, s'engageant dans la réconciliation avec l'Allemagne et l'édification d'un grand espace européen tout en soutenant plusieurs conflits outre-mer. Nonobstant certaines erreurs, ce fut un formidable effort de mobilisation stimulé par une allégresse collective comme la France n'en avait pas connue depuis longtemps...

Oui, c'est bien beau, mais, sans même se demander ici si jeter "les bases d'une véritable puissance industrielle" est si glorieux que cela, il faut nuancer certains points : les conflits outre-mer ont été perdus (sauf au Cameroun, où si l'on en croit F.-X. Verschave la France commit d'épouvantables massacres), la force de frappe nucléaire française semble bien

Couverture

avoir été surtout un "cadeau" américain, que de Gaulle a enrobé dans de belles phrases. Quant à la réconciliation avec l'Allemagne, qui certes en soi ne fut pas une mauvaise chose, on a vu au début de la première partie de ce texte ce que J.F. en pensait trente ans après.


P.B. - Tout cela malgré les faiblesses dont on stigmatise la quatrième république.

J.F. - Je connais ces critiques puisque, comme vous le savez bien, je suis gaulliste comme je suis aussi européen et régionaliste... mais la nature des institutions n'a ici qu'une faible pertinence. C'est la pâte humaine qui est décisive et les grands courants d'idée et d'humeur qui traversent la population.

Encore un peu de Nietzsche ? "Nos institutions ne valent plus rien : là-dessus, tout le monde est d'accord. Pourtant, la faute n'en est pas à elles, mais à nous. Une fois que nous avons perdu tous les instincts d'où naissent les institutions, les institutions nous échappent à leur tour, parce que nous ne sommes plus dignes d'elles."

La rhétorique n'est pas sans conséquence ; il y a des récits toniques et d'autres qui, en revanche, nourrissent la neurasthénie. Oui, je maintiens qu'en politique il faut savoir mentir à bon escient ; non pour dissimuler la corruption du pouvoir comme on le voit faire si souvent aujourd'hui, mais pour doter les vivants d'un passé supportable, rasséréner l'identité collective, renforcer l'estime de soi.

Vient ici à l'esprit l'argument de Castoriadis : "Des camelots veulent placer cette profonde philosophie de préfet de police libertin : moi je sais que le Ciel est vide, mais les gens doivent croire qu'il est plein, autrement ils n'obéiront pas à la loi. Quelle misère !" Je crois qu'en fait cet argument n'est vraiment valable ici que pour des cas comme celui que j'ai évoqués plus haut, tels les massacres qui auraient eu lieu au Cameroun entre 1957 et 1970. Verschave (p. 87 de l'ouvrage mis en lien plus haut) va jusqu'à parler de 400.000 morts, si la France a fait cela, on aimerait bien le savoir ! Mais s'il s'agit de ressasser des choses déjà sues, ou considérer l'ensemble des Français comme des professeurs d'histoire, sans doute J.F. a-t-il, dans l'état actuel des choses, raison.

Des élites qui accablent les morts pour fustiger leur peuple ne sont pas dignes de le gouverner. Rappelez-vous ce que dit le dernier homme de Zarathoustra. Il dit "Jadis tout le monde était fou". Et il ajoute en clignant de l'oeil : "Qu'est-ce qu'aimer ? Qu'est-ce que créer ? Qu'est-ce que désirer ?" Il exprime en même temps le sentiment de supériorité de l'homme moderne et son incapacité à donner sens aux verbes aimer, créer, désirer ; les actions élémentaires de l'existence. L'homme moderne en rupture d'antécédant est condamné à l'indigence et à la stérilité ; il n'est plus créateur... Vantardise et impuissance voilà son apanage ! Les Anciens connaissaient les vertus pacifiantes de l'oubli ; mais les nouveaux prédicateurs veulent-ils la paix ?

La Pax Rancunia, qui par l'intimidation permet à ceux qui ont le pouvoir de le conserver ?... Quoi qu'il en soit, dernière livraison la semaine prochaine.



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jeudi 22 juin 2006

France 2002, Palestine 2006.

Après Julien Freund, et avant d'y revenir, un petit détour par ce qu'il est commode d'appeler l'extrême-gauche ne peut pas faire de mal. Il m'est déjà arrivé ici ou là de citer Alain Brossat, qui a entre autres mérites à mes yeux, pour quelqu'un qui fut, dans les années 70, d'après ses propres termes, un "marxiste-révolutionnaire", de s'être souvent intéressé aux populations vivant sous les régimes "marxistes-léninistes", au lieu comme d'autres de les passer par pertes et profits. De même a-t-il le bon goût de ne pas trop séparer Auschwitz et Hiroshima - et il me semble effectivement que, pour autant qu'il soit possible de comprendre un événement historique, on a plus de chances de comprendre l'un ou l'autre de ces processus de destruction si l'on n'oublie pas son noir symétrique et complément.

Bref, ce décor quelque peu planté, ne pouvant encore vous proposer un commentaire du dernier ouvrage dudit Alain Brossat, La résistance infinie (Lignes et manifestes, 2006), je me contente aujourd'hui de vous en retranscrire un passage qui ne m'a pas déplu. M. Brossat vient de stigmatiser l'attitude des Français après le 21 avril, ou tout au moins, leur volonté de se donner à l'Etat - et en l'occurrence à Jacques Chirac, pour qu'il les protège du grand méchant fasciste, alors que, selon lui, les circonstances auraient pu leur permettre de provoquer une réflexion sur ce qui venait de se passer, réflexion qui pouvait se traduire en actes (l'idée qu'il propose est une masse énorme - et si possible majoritaire - de votes blancs sous la forme de bulletins Le Pen rayés d'une croix), au lieu de voter comme on se purge, se torche, ou se lave les mains, je suis désolé mais le problème est que justement dans ce cas-là ce fut un peu la même chose. Quoi qu'il en soit, mon but n'est pas tant de discuter cette idée, ou le fait de la proposer, quatre ans après, comme une solution "aveuglante" (peut-être d'ailleurs A. Brossat y pensa-t-il dès le 22 avril), mais de donner une idée de l'optique de ce texte, qu'il conclut ainsi (comme à l'accoutumée, je glisse quelques incises par-ci par-là) :

"Naguère encore, je demeurais incrédule face à cette indifférence de glace que manifeste dans sa masse le peuple de notre pays à l'épreuve que subit sous ses yeux,

sous ses yeux... c'est trop dire, tout de même, et ce serait plutôt une formule de journaliste.

depuis tant d'années, un autre peuple, les Palestiniens - non pas celle d'une extermination génocidaire, mais bien celle qui découle de la tentative, en tous points expérimentale, d'en organiser la pulvérisation et la disparition en tant que peuple national, entité culturelle, puissance entre d'autres puissances. Comment, me demandais-je, notre peuple peut-il assister avec une telle impassibilité, sans manifester une fureur constante et visible,

faut peut-être pas trop demander... Pour des Arabes, en plus !

à une semblable opération sur le corps d'un peuple cyniquement décrété superfétatoire par une coalition de persécuteurs impunis ?

Après le 5 mai, je crois mieux comprendre. Un peuple devenu soumis avec tant de zèle et de bonne volonté aux conditions de la gestion étatique du vivant humain (le nôtre), un peuple aussi spontanément et allègrement (ou mélancoliquement, peu importe), biopolitisé que le nôtre

concept créé par Michel Foucault, que l'on peut, pour ceux qui ne le connaissent pas, se contenter ici de traduire par "soumis"

ne peut qu'éprouver aversion et rancune pour un autre qui, dans des conditions extrêmes sans cesse aggravées - pires assurément que celles que subit la masse des Français durant les quatre années de l'occupation - ne cesse de manifester son infrangibilité politique, à force de n'escompter - et pour cause - son émancipation que de son propre combat pour la liberté, de sa propre résistance. Le peuple qui a cru se guérir de sa petite frayeur brune en se jetant dans les bras du plus falot des commis de l'Etat

falot, falot... C'est aussi le personnage mis au point par ce grand copain de dictateurs. Passons.

ne peut qu'éprouver une sorte d'inarticulable ressentiment à l'égard de cet autre qui se montre si inflexiblement irréductible aux conditions d'une biopolitique mondiale dont le principe est le partage entre espèces protégées (...) et espèces criminalisées (celles qui se mettent en travers du nouvel ordre impérial). Plus notre peuple est spontanément cheptelisé, plus sa sympathie est susceptible de s'exercer à l'égard des protégés de la politique humanitaire mondiale (Kosovars, Timorais), et plus il est porté à éprouver un sentiment d'inquiétante étrangeté

expression empruntée à S. Freud

à l'endroit de ceux qui, par force, ne comptent que surs leurs capacités de résistance propre pour se maintenir en tant que peuple et dont la lutte demeure entièrement irréductible aux conditions d'un discours juridico-humanitaire. Il nous est plus incommode que jamais, quand nous nous voyons toujours plus en victimes et sommes portés à nous identifier aux victimes seules, de voir ce peuple solitaire endurer et durer sous le signe de ce qui, un jour, nous fut présent et nous a si radicalement abandonnés - l'esprit de résistance. Alors nous regardons ailleurs ou faisons semblant de croire à la version lénifiante et menteuse des journaux - "violences" au Proche-Orient, inextricable "complexité" de la situation, "horreur" des attentats terroristes, etc. Bonne nuit." (pp. 111-113)


Ce que j'aime bien ici, entre autres choses et en vous laissant vous faire votre opinion sur l'idée principale, c'est :

- la non-personnification des Palestiniens - pas de construction de "héros" à la Lénine, Mao, Blair ou (nous verrons) Chavez ;

- malgré quelques tics kouchnériens que j'ai relevés, l'utilisation de ce qui se passe ailleurs non tant pour culpabiliser les Français que pour les amener à réfléchir sur ce qu'ils acceptent pour eux-mêmes, ce qui me semble de bonne méthode.

Peut-être voit-on où je veux en venir. Sont abordés dans ce texte des thèmes liés à la soumission volontaire, à l'esclavage non seulement admis mais revendiqué, thèmes qui ne peuvent qu'évoquer P. Muray ou J.-P. Voyer. Nous verrons, j'espère bientôt, comment quelqu'un issu de l'extrême-gauche traite aujourd'hui ces thèmes, ce qu'il y apporte et ce qui lui manque. Bonne nuit !

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mardi 20 juin 2006

Questions et réponses (I). - "Les sentinelles de l'antifascisme sont la maladie de l'Europe décadente."

Questions et réponses II.

Questions et réponses III.

(Fin du texte.)



Voici - en trois livraisons - un condensé commenté d'une conversation entre Julien Freund et Pierre Bérard - ce texte est lui-même un condensé de plusieurs conversations entre "le vieux professeur", traducteur de Max Weber et Carl Schmitt (dont je peux préciser dès maintenant que je n'en ai jamais lu une ligne), et le "jeune élève", membre de la Nouvelle Droite, conversations que Pierre Bérard nous dit remonter, sans plus de précisions, à la fin des années 80. De ce fait, et dans la mesure où j'ai pratiqué de nombreuses coupures, ceci j'espère dans le respect global (je suis bien conscient d'avoir supprimé des nuances, à tout le moins) de la pensée des deux hommes, je ne me suis pas cru tenu de signaler les dites coupures, sauf quand je n'ai pu empêcher un saut du coq à l'âne. Il m'est notamment arrivé de supprimer certaines phrases que je n'étais pas sûr de bien comprendre : décrire toutes les interprétations, d'ailleurs parfois "tendancieuses", comme disent les policiers de gauche, qu'elles me semblaient susceptibles de recevoir aurait pris trop de place par rapport à l'intérêt même que me paraissaient avoir ces passages. Le lecteur pourra de toute façon vérifier ce qu'il en est sur le site du Grece.

J'ai d'abord voulu donner autant d'écho que possible à un texte qui m'a semblé pertinent à beaucoup d'égards - et même prophétique - il faut certes faire confiance à Pierre Bérard pour ne pas avoir rétrospectivement arrangé les propos de son maître de façon à les faire coïncider avec notre époque. Faute de la moindre preuve à ce sujet, que l'on prenne l'émission de ce doute autant pour le signe d'une volonté de lucidité critique que pour l'expression d'une admiration devant certains des propos ici tenus.

J'ai ensuite souhaité le commenter pour le clarifier (d'où quelques intertitres aussi brefs que possible), le compléter (nous sommes en 2006...) et tout de même marquer quelques nuances ou désaccords sur des points difficiles. J'ai supprimé un certain nombre de références à la Nouvelle Droite en partie pour recentrer le débat sur ce qui me semble effectivement dit ici et éviter - si possible... - que des pudeurs ou censures idéologiques ne viennent interférer avec l'intérêt des idées. Enfin, j'ai délibérément supprimé tous les éléments de mise en scène ou en situation introduits par Pierre Bérard.


L'Europe.


J.F. - Je suis frappé par l'aboulie de l'Europe. Regardez, les élèves alsaciens choisissent de moins en moins l'allemand à l'école ! Plus l'Europe se construit par une sorte d'engrenage et moins les Européens s'intéressent les uns aux autres. Dans tous les pays de la Communauté, l'enseignement des autres langues européennes régresse au bénéfice de l'anglais. Par dévolution, elle hérite des patries sans réussir à se doter de leurs qualités. Elle fonctionne comme une procédure de dépolitisation.

J'ai déjà critiqué (ici, note 9bis) Marcel Gauchet sur ce point : l'Europe n'a effectivement existé que lorsqu'elle était construite à partir d'identités fortes. A partir du moment où l'on a l'impression que le voisin nous ressemble, et qu'un peu de baragouin "anglais" nous suffit à échanger avec lui des informations minimales, il n'y a aucune raison de s'intéresser à lui. C'est encore plus vrai lorsque l'on vit dans un pays qui se pose, à tort ou à raison, des questions sur son identité et son devenir.

[L'Europe] ne veut pas s'assigner de limites géographiques. Elle ne veut pas être un territoire. Un territoire, voyez-vous, ce n'est pas un espace neutre, susceptible d'une dilatation à l'infini. Le territoire est à l'opposé de l'espace abstrait, c'est un site conditionné, habité par une culture. La nouvelle frontière utopique de l'Europe, c'est l'impolitique des droits de l'homme. C'est une notion hyperbolique mais vague... on ne meurt pas pour une notion aussi floue.

Ah, Valmy, tout de même... Mais était-ce pour les droits de l'homme, ou contre les "aristos" et/ou les étrangers ?

Cet espace là n'a pas de qualité, pas d'épaisseur, pas de densité. Il ne peut pas susciter l'adhésion. Seul le territoire peut nourrir des liens d'affection, d'attachement. Du fait du particularisme qui lui est inhérent, l'identité collective exige des frontières. Elle entre en crise quand toute démarcation s'efface. Etre Européen, c'est être dépositaire d'un patrimoine spécifique et s'en reconnaître comptable.

Il faudrait souligner ce et : on ne peut se contenter de garder les droits de l'homme et jeter le reste.

Je croyais ardemment à la construction européenne, mais je suis devenu sceptique dans la mesure où cette Europe là risque bien de n'être qu'un vecteur de la dénationalisation générale, la simple conjugaison de nos impuissances. L'Europe semble vouloir expier son ancienne volonté de puissance. Nous sommes au balcon de l'histoire, et nous faisons étalage de nos bons sentiments. Il suffit de considérer la complaisance avec laquelle nous nous laissons culpabiliser. Comment s'appelle ce monsieur qui a sorti un livre là-dessus ?

P.B. - Pascal Bruckner... Le sanglot de l'homme blanc.

J.F. - L'avez-vous lu ?

P.B. - Bien sûr... mais si il fustige en effet la mauvaise conscience européenne, c'est au nom des valeurs universelles de l'Occident dont se réclament aussi les Père-Fouettards qui charcutent notre passé afin de le maudire. Les uns et les autres raisonnent à partir des mêmes présupposés. Bruckner est le héraut d'un universalisme fier et conquérant qui, dans le sillage du néo-libéralisme entend imposer le magistère moral de l'Occident à l'ensemble de l'oekoumène [terre habitée ou cultivée par l'homme]. Ce qu'il reproche aux larmoyants, c'est de n'instrumenter les mêmes valeurs que pour nous diminuer. Ce que disent en revanche les détracteurs de l'Europe, c'est que jamais nous ne fûmes dignes de notre mission civilisatrice. A ce gémissement, Bruckner rétorque qu'il nous faut être forts dans le seul but de sermonner le monde et de lui apprendre les bonnes manières...

J.F. - Si le tiers monde nous désigne comme ennemi ; par exemple en tant qu'ancienne puissance coloniale responsable de tous ses échecs ; alors nous ne pouvons pas nous dérober sous peine de capitulation. L'affrontement politique n'est pas suspendu aux choix des valeurs, mon cher ami...

Allusion à M. Weber.

Sur cet universalisme fallacieux qui règne depuis la dernière guerre mondiale, Schmitt s'est exprimé dans les années vingt. Il écrit dans sa Notion de Politique que "le concept d'humanité est un instrument idéologique particulièrement utile aux expansions impérialistes" et que "sous sa forme éthique et humanitaire, il est un véhicule spécifique de l'impérialisme économique". Bien évidemment les Américains traduisent leurs intérêts nationaux en langage internationaliste, exactement comme le font les Soviétiques. Mais vous le savez bien, si j'accepte de comparer ces deux puissances, ce n'est pas pour les confondre. Cependant, si le despotisme communiste venait à disparaître comme pourraient le laisser prévoir tous ces craquements à l'Est, l'Amérique pourrait être tentée par une hégémonie sans retenue.

No comment...
(Je reviens ultérieurement sur la question de l'universalisme.)


En réponse à ces immenses défis, je suis frappé par le caractère routinier du débat européen. L'Europe se construit d'une manière fonctionnaliste, par une suite d'enchaînements automatiques. Son fétichisme institutionnel permet de dissimuler notre maladie qui est l'absence d'objectifs affichés. Nous sommes par exemple impuissants à nous situer par rapport au monde. Etrange narcissisme ; on se congratule d'exister, mais on ne sait ni se définir, ni se circonscrire. L'Europe est-elle reliée à un héritage spécifique ou bien se conçoit-elle comme une pure idéalité universelle, un marchepied vers l'Etat mondial ? L'énigme demeure avec un penchant de plus en plus affirmé pour la seconde solution qui équivaudrait à une dissolution. Ce processus se nourrit par ailleurs, c'est transparent chez les Allemands, d'une propension à fuir le passé national et se racheter dans un sujet politique plus digne d'estime, une politie immaculée, sans contact avec les souillures de l'histoire. Cette quête de l'innocence, cet idéalisme pénitentiel qui caractérisent notre époque se renforcent au rythme que lui imposent les progrès de cette mémoire négative toute chargée des fautes du passé national. On veut lustrer une Europe nouvelle par les vertus de l'amnésie. Par le baptême du droit on veut faire un nouveau sujet. Mais ce sujet off-shore n'est ni historique, ni politique. Autant dire qu'il n'est rien d'autre qu'une dangereuse illusion. En soldant son passé, l'Europe s'adosse bien davantage à des négations qu'à des fondations. Conçue sur cette base, l'Europe ne peut avoir ni objectif, ni ambition et surtout elle ne peut plus rallier que des consentements velléitaires. Le nouvel Européen qu'on nous fabrique est une baudruche aux semelles de vent. Les identités fluides, éphémères qu'analyse Michel Maffesoli ne peuvent en aucun cas tenir le rôle des identités héritées. Elles n'agrègent que de manière ponctuelle et transitoire, en fonction de modes passagères. Oui, ce ne sont que des agrégats instables stimulés par le discours publicitaire. L'orgiasme n'est pas une réponse au retrait du politique, car il exclut la présence de l'ennemi. Quand il se manifeste, l'ennemi, lui, ne s'adonne pas au ludisme dionysiaque.

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Si le politique baisse la garde, il y aura toujours un ennemi pour troubler notre sommeil et déranger nos rêves. Il n'y a qu'un pas de la fête à la défaite.

Une phrase que Muray (que Pierre Bérard déclare admirer) aurait appréciée, mais peut-être pas reprise à son compte. Rappelons la fin de Chers djihadistes... : "Nous vaincrons parce que nous sommes les plus morts."

Et puis, c'est une Europe de la sempiternelle discussion ... et toujours sur des bases économiques et juridiques, comme si l'économie et le droit pouvaient être fondateurs. Vous savez l'importance que j'accorde à la décision, or l'Europe est dirigée par une classe discutante qui sacrifie le destin à la procédure dans un interminable bavardage qui ne parvient guère à surmonter de légitimes différents. Ce refus de la décision est lié au mal qui frappe nos élites ; elles ne croient plus à la grandeur de notre continent ; elles sont gâtées jusqu'à la moelle par la culpabilité dont elles transmettent l'agent létal à l'ensemble des Européens. D'où cette dérive moralisatrice qui transforme l'Europe en tribunal, mais en tribunal impuissant.

P.B. - Il n'est pas toujours impuissant à l'égard des autochtones...

J.F. - Ça, c'est une autre affaire... Impuissant, car nous prétendons régir la marche du monde vers l'équité, mais nous refusons d'armer le bras de cette prétendue justice. La culpabilité névrotique inhibe l'action. Le problème, c'est que l'Europe est construite par des libéraux et par des socio-démocrates, c'est à dire par des gens qui croient dans l'économie comme instance déterminante. C'est pourquoi la neutralisation du politique est pour ainsi dire inscrite dans son code génétique.

P.B. - L'Europe n'est qu'un tigre de papier.

J.F. - Elle ne fait même pas semblant d'être un tigre ! Depuis plus de quarante ans, elle s'en remet aux Américains pour ce qui est de sa protection. Elle a pris le pli de la vassalité, l'habitude d'une servitude confortable. C'est ce que dévoilent d'ailleurs les choix budgétaires de tous ses gouvernements quelle qu'en soit la couleur : la portion congrue pour la défense, une part grandissante pour les dépenses sociales. En réalité, L'Europe ne peut se construire que sur un enjeu ultime... la question de la vie et de la mort. Seul le militaire est fédérateur, car dans l'extrême danger il est la seule réponse possible. Or ce danger viendra, car l'Europe vieillissante riche et apathique ne manquera pas d'attiser des convoitises. Alors viendra le moment de la décision, celui de la reconnaissance de l'ennemi... Ce sera le sursaut ou la mort. Voilà ce que je pense.

Ce qu'il faut retenir ici, c'est la présence de l'ennemi. Il est tout à fait légitime, dans les discours anti-impéralistes, de chercher à ruiner ce que l'on pense être les causes qui contribuent à faire de l'ennemi un ennemi. Mais il est stupide de nier qu'il y ait des ennemis.

Suit une parenthèse sur Carl Schmitt, que je reprends sur sa fin.


En France, on refuse d'être déniaisé ; on préfère la calomnie venimeuse et les coups de clairon antifascistes. "Schmitt - nazi" ! C'est toujours la même rengaine. Auparavant, les intellectuels libéraux discutaient avec Schmitt. Aron bien sûr, mais regardez Léo Strauss aux Etats-Unis ou Jacob Taubes. Même Walter Benjamin a reconnu sa dette. Ceux d'aujourd'hui subissent l'ascendant de leurs adversaires de gauche et tentent par tous les moyens de s'innocenter. Ils sont les victimes consentantes de la stratégie du soupçon... par lâcheté. Quant à la gauche... depuis que Mitterrand a renoncé à la rupture avec le capitalisme, elle s'est réfugié dans la politique morale ; elle ne pense plus qu'en terme d'antifascisme. La lutte des "places" a remplacé la lutte des classes.

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Racisme et antiracisme.


P.B. - Le racisme et l'antiracisme... Il y a quelques années le racisme seul suscitait interrogation et condamnation. L'antiracisme allait de soi ; c'était la réponse légitime à la vilenie. (...) Il y a une hésitation de la doxa antiraciste. L'Autre doit-il être envisagé comme le semblable ou comme le différent ?

J.F. - Mais, Bérard, ce n'est pas une hésitation, mais une confusion ! La vulgate antiraciste, c'est un alliage d'insuffisance théorique et d'arrogance rhétorique. Et en prime, l'alibi d'une morale incontestable.

P.B. - Soit. La substance de l'antiracisme est mouvante parce qu'elle est surdéterminée par des manigances tactiques, tantôt assimilationniste sur le mode républicain, tantôt différentialiste dans une perspective qu'on pourrait dire... américaine...

J.F. - Ce sont ces errements qui le rendent difficile à saisir. Je ne suis pas persuadé qu'ils soient seulement tactiques.

Oui, c'est aussi une question de bêtise.

D'ailleurs les deux discours fonctionnent côte à côte dans un agrégat extravagant de paralogismes. Mais de leur point de vue ça n'a pas d'importance. Ce qui compte, c'est la posture morale. La pureté des intentions est censée cautionner l'échafaudage intellectuel, comme dans le pacifisme.

P.B. - La confusion est renforcée par la polysémie du vocabulaire.

J.F. - Bien sûr. Qu'est-ce qu'une race ? Est-ce une notion scientifique ? Est-ce un pur flatus vocis forgé par l'idéologie ? L'aspect plurivoque de toutes ces choses qu'on ne veut surtout pas définir de façon rigoureuse donne licence aux discours des charlatans. Il y a un dévergondage propre au dégoisement antiraciste. Il manie des idées confuses pour mieux pêcher en eau trouble et intoxiquer les esprits. D'autant que ce galimatias est secondé par la presse qui maintient une pression constante sur l'opinion en interprétant à sa manière le moindre fait divers. Gare aux incartades... Je ne parviens plus à lire Le Monde...

Bientôt souhaitons-le nous serons tous dans ce cas.

P.B. - J'en reviens quand même à ce que je disais. Il y a donc l'obligation morale d'aimer l'Autre et de l'admettre dans la communauté politique comme un semblable. Par ailleurs, enfin adoubé comme alter ego, il conviendra sans doute de le pourvoir de privilèges compensatoires justifiés par les souffrances que la xénophobie et le racisme lui feraient endurer. C'est la querelle de la discrimination positive qui commence à poindre en plein pathos républicain...

J.F. - L'américanisation comme dit Alain de Benoist.

P.B. - Et, en même temps qu'il se voit invité à entrer dans la maison commune...

J.F. - C'est un spectre, un épouvantail que la gauche agite pour renforcer le vote protestataire.

P.B. - ...Sa promotion de commensal particulièrement choyé à la table citoyenne s'accompagne de la fabrication d'un Autre absolu qu'il est recommandé d'exclure, voire de haïr. Cet Autre brutalement retranché du genre humain, c'est, bien entendu le raciste, le xénophobe... ou, du moins, celui auquel il est avantageux de coller cette étiquette. Ainsi se vérifie cette constante sociologique qui exige que le Nous se construise sur l'exclusion d'un Autre. Et, le paradoxe, c'est que ceux qui font profession de pourfendre l'exclusion sont les premiers à illustrer la permanence de ce principe !

J.F. - Ah... Ce n'est pas un paradoxe, mais comme vous le dites, une vérification, une vérification ironique...Ceux qui sont visés, ce sont évidemment les gens d'extrême droite dans la mesure où ils entendent s'affirmer comme des compétiteurs dans le jeu démocratique... mais il se pourrait qu'à l'avenir des strates entières du petit peuple autochtone soient pour ainsi dire la proie de cette exclusion rageuse.

21 avril, 21 avril...

En attribuant le racisme aux seuls Européens, l'antiracisme donne de plus en plus l'impression de protéger unilatéralement une partie de la population contre l'autre. Or, en abdiquant le révolutionnarisme lyrique au profit du capitalisme libéral, Mitterrand sacrifie cette clientèle de petites gens bercée jusqu'ici par le discours égalitariste. Vous comprenez, ils ont été habitués à une vision irénique de l'avenir. Et justement, ce sont eux les plus concernés dans leur vie quotidienne, les plus exposés à la présence étrangère. On sait, depuis Aristote, que l'étranger a toujours été un élément conflictuel dans toutes les sociétés.

Conflictuel ne doit pas vouloir dire que le conflit ne peut jamais être résolu ou neutralisé, contrairement à ce qu'affirme la phrase suivante, où la présence de guillemets et d'une hésitation peut être le signe d'une certaine confusion.

L'harmonie dans une société... disons "multiraciale" est, plus que dans toute autre, une vue de l'esprit. Or, ces gens dont nous parlons, ceux du bistrot, ici, ils ne participent pas de la civilité bourgeoise. Ils ne subliment pas leurs affects. Leurs réactions sont plus spontanées, leur jactance moins étudiée. Affranchis des règles de la bienséance hypocrite, ils seront les premières victimes des censeurs de cet antiracisme frelaté qui rêve de placer la société sous surveillance. Traquenards, chausse-trapes, procédés de basse police, délations... ce sont ces malheureux qui seront bientôt les victimes de ce climat d'intolérance. L'empire du Bien [titre d'un livre de Muray, 1991] est un empire policier ou l'on traque le faux-pas, le lapsus, le non-dit et même l'humour...

P.B. - Ils apprendront à se taire, à dissimuler...

J.F. - Ah, mon cher, je suis fils d'ouvrier et je vis dans un village... Ils ne se tairont pas. Il se peut qu'à force on fasse de ces braves gens des bêtes fauves... C'est ma crainte, je l'avoue... D'autant que les soi-disantes autorités morales cherchent à expier notre passé colonial en accoutrant l'immigré africain de probité candide et de lin blanc...

P.B. - C'est la version post-moderne du bon sauvage... que la méchanceté de notre passé doterait d'une créance inépuisable.

J.F. - Ah oui, cette histoire de la dette... c'est un thème sartrien. Mais c'est d'abord une victime qui doit pouvoir bénéficier de certaines immunités. En effet. De pareils privilèges, même symboliques - mais dans une société matérialiste les privilèges ne se contentent pas de demeurer symboliques - ne peuvent que renforcer les antagonismes et puis, surtout, comprenez bien ça, cela heurte l'évangile égalitaire dont les Français ont la tête farcie. En jouant simultanément l'antiracisme et Le Pen contre la droite, Mitterrand va provoquer la sécession de la plèbe. Cela paraît habile... Mitterrand le Florentin et que sais-je encore... mais c'est impolitique. Car le politique doit toujours envisager le pire pour tenter de le prévenir. J'insiste : si l'étranger est reconnu comme un élément de désorganisation du consensus, il éveille un sentiment d'hostilité et de rejet. Un brassage de population qui juxtapose des origines aussi hétérogènes ne peut que susciter des turbulences qu'il sera difficile de maîtriser.

Très bien, très bien, à condition d'ajouter que ces immunités sont tout de même, au moins pour l'instant, plus symboliques - de l'ordre du "pathos républicain", auquel il a été fait allusion plus haut, que réelles ou matérielles. Ce qui augmente encore le danger du cocktail décrit ici. La hargne de Popu contre ces privilèges symboliques renforce la bonne conscience des dirigeants politiques et économiques face aux difficultés économiques des "étrangers", lesquels, en protestant, ne trouvent généralement comme alliés "efficaces" que les canailles bien-pensantes, celles-là mêmes qui procèdent aux exclusions qui viennent d'être décrites. Et ainsi de suite...

P.B. - Les rédempteurs de l'humanité sont indécrottables ?

J.F. - Les sentinelles de l'antifascisme sont la maladie de l'Europe décadente. Ils me font penser à cette phrase de Rousseau persiflant les cosmopolites, ces amoureux du genre humain qui ignorent ou détestent leurs voisins de palier. La passion trépidante de l'humanité et le mépris des gens sont le terreau des persécutions à venir. Votre ami Alain de Benoist a commencé d'écrire de bonnes choses là-dessus. Dites-le-lui, il faut aller dans ce sens : la contrition pathologique de nos élites brouille ce qui fut la clé du génie européen ; cette capacité à se mettre toujours en question, à décentrer le jugement. Ceux qui nous fabriquent une mémoire d'oppresseurs sont en fait des narcissiques. Ils n'ont qu'un souci : fortifier leur image de pénitents sublimes et de justiciers infaillibles en badigeonnant l'histoire de l'Europe aux couleurs de l'abjection. Regardez ce qu'écrit Bernard-Henri Lévy sur Emmanuel Mounier... C'est un analphabète malfaisant. En 1942, j'étais avec Mounier à Lyon... en prison ! En épousant l'universel, ils s'exhaussent du lot commun ; ils se constituent en aristocratie du Bien... L'universel devient la nouvelle légitimité de l'oligarchie !

P.B. - C'est Nietzsche qui écrit dans La volonté de puissance que l'Europe malade trouve un soulagement dans la calomnie. Mais il se pourrait bien que le masochisme européen ne soit qu'une ruse de l'orgueil occidental. Blâmer sa propre histoire, fustiger son identité, c'est encore affirmer sa supériorité dans le Bien. Jadis l'occidental assurait sa superbe au nom de son dieu ou au nom du progrès. Aujourd'hui il veut faire honte aux autres de leur fermeture, de leur intégrisme, de leur enracinement coupable et il exhibe sa contrition insolente comme preuve de sa bonne foi. Ce ne serait pas seulement la fatigue d'être soi que trahirait ce nihilisme contempteur mais plus certainement la volonté de demeurer le précepteur de l'humanité en payant d'abord de sa personne. Demeurer toujours exemplaire, s'affirmer comme l'unique producteur des normes, tel est son atavisme. Cette mélodie du métissage qu'il entonne incessamment, ce ne serait pas tant une complainte exténuée qu'un péan héroïque. La preuve ultime de sa supériorité quand, en effet, partout ailleurs, les autres érigent des barrières et renforcent les clôtures. L'occidental, lui, s'ouvre, se mélange, s'hybride dans l'euphorie et en tire l'argument de son règne sur ceux qui restent rivés à l'idolâtrie des origines. Ce ne serait ni par abnégation, ni même par résignation qu'il précipiterait sa propre déchéance mais pour se confondre enfin intégralement avec ce concept d'humanité qui a toujours été le motif privilégié de sa domination... Il y a beaucoup de cabotinage dans cet altruisme dévergondé et dominateur et c'est pourquoi le monde du spectacle y tient le premier rôle...

Idées fort séduisantes, mais si P. Bérard a raison, l'occidental sera pris à son propre piège, puisqu'il se place ainsi dans une situation où on lui demandera en permanence des comptes. Et comme c'est ce qu'il fait à l'égard des autres, nous allons vraiment beaucoup nous amuser dans les temps à venir...

Nietzsche : "Je décris le bonheur tel que je me l'imagine dans notre société actuelle, d'Europe et d'Amérique, à la fois exténuée et assoiffée de puissance."


Il y a un autre paradoxe. Au-delà de leurs périphrases lénifiantes pour nier ou euphémiser les ruptures qui travaillent le corps social, les ligues de vertu semblent hypnotisées par l'ethnique et le racial, même si c'est pour le conjurer ; et ils le déversent à grands tombereaux sur une France plutôt placide qui se voit pour ainsi dire sommée de penser les rapports humains dans les catégories que l'antiracisme se donne officiellement pour mission d'abolir...

J.F. - Des écervelés... des têtes de linotte...

P.B. - Diriez-vous aussi qu'ils sont les fourriers d'une racisation démesurée des rapports sociaux ?

J.F. - Moi, je suis du côté de Barrès. Je ne suis pas l'enfant du " pluriculturel " dont on nous abreuve. Je suis né dans une tradition, sur un territoire, dans un groupe déterminé. C'est par ces liens traditionnels que j'accède à la condition humaine.

Voilà l'universel décrié plus haut, mais à sa place logique : un aboutissement, à partir d'un point de départ particulier. J. F. dresse ici lui-même une objection, ou un correctif, à ses propos précédents ainsi qu'à ceux de P. B. sur l'universel. Il reste bien évident, d'une part, que ceux qui brandissent l'universel à tour de bras pour se placer dedans et en exclure les autres, ne font que de la basse politique et de la plus ou moins bonne propagande ; d'autre part, que vouloir en rester aux particularismes (un exemple chez le très minable Tin ici) ne peut susciter que le plus profond mépris. Bref, il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs, mais il ne faut pas non plus oublier la charrue.

Décrire cela comme une prison, c'est assigner des milliards d'humains à la condition de bagnards. Ceci étant dit... C'est comme ça que cela se passe aux Etats-Unis, non ? Là-bas il y a une congruence du social et du racial, une substantialisation des catégories sociales qui tend à enfermer certains groupes dans un déterminisme sans espoir.

P.B. - Bizarrement, cette thématique trahit chez les antiracistes de profession une sorte de refoulé...

J.F. - Bérard, ne faites pas de psychanalyse à deux sous... Mais c'est vrai qu'ils abusent d'un langage saturé de référents raciaux. Faire l'apologie du métissage, c'est comme honorer la race pure. C'est ramener l'axiologie à la pâte biologique avec, dans les deux cas, le même fantasme prométhéen, celui des ingénieurs du vivant, des biotechniciens.

P.B. - Cela me fait penser aux manuels de confession de la contre-réforme catholique. Ils sont gorgés de descriptions pornographiques. Bien sûr, là aussi c'était pour le bon motif. Mais certains travaux récents montrent que c'est par le biais du confessionnal que les pratiques anticonceptionnelles se seraient répandues dans les campagnes... l'onanisme comme effet pervers de l'interrogatoire ecclésiastique. Le sexe et la race, deux figures de l'obscénité ; tout le monde y pense, personne n'en parle...

Il se peut ici qu'il y ait un peu de naïveté de la part de Pierre Bérard, et que la plupart de ceux qui ont participé, de près ou de loin, à la contre-réforme, aient très vite saisi ses potentialités érotiques. Passons.

Si il y a retour du refoulé, y compris sur le mode d'une dénégation rageuse, cela ne va-t-il pas lever des inhibitions chez ces gens dont vous parliez tout à l'heure ? Et si c'est le cas, installer du même coup nos censeurs dans un rôle rentable de procureurs débordés.

J.F. - Le paradoxe des conséquences selon Max Weber. Vous savez, mon cher Bérard, ce sont des interdits, plus que des inhibitions. Certes la modernité tardive que j'appelle décadence se veut formellement libertaire. Elle entend bannir tabous et inhibitions au profit d'une spontanéité qui rejette les conventions... La civilité, la politesse, la galanterie... Toutes ces procédures qui cantonnent l'instinct agressif pour lisser l'interface ; en un mot l'élégance sociétale, c'est-à-dire le souci de l'autre. Il y a un risque d'anomie [Bonjour Durkheim !] que les thuriféraires de soixante-huit ont largement contribué à magnifier en laissant croire que tous ces codes relevaient d'une aliénation d'essence autoritaire et bourgeoise... Les bourgeois sont d'ailleurs les premiers à s'en émanciper, et avec quel entrain... Ils sont l'avant-garde de l'anomie à venir, des enragés de la décivilisation.

P.B. - Après deux siècles de mimétisme, c'est l'ultime vengeance des bourgeois contre l'aristocratie déchue ?


Individualisme, communauté, autorité.


J.F. - C'est un phénomène plus vaste, sans doute lié à l'individualisme. Ce n'est pas le sujet pensant des adeptes du progrès qui s'émancipe, mais l'ego de coeur et de tripes qui bouscule dans l'ivresse toutes les entraves à l'expression de son authenticité. Le jeunisme, c'est cela ; le "cool", le sympa, le décontracté, la sacralisation d'une société adolescente libérée des contraintes de la forme. Or la vitalité brute, instinctive, sauvage, célébrée par ce culte de la sincérité et de la transparence, c'est la dénégation de la vie collective et de ces protocoles compliqués qu'on appelle tout simplement la culture. La culture, Bérard, c'est-à-dire depuis Cicéron, ce qui cultive en l'homme social la retenue, la discrétion, la distinction. Le dernier homme ne veut plus être apprivoisé par les usages, et c'est vrai que délesté des impératifs de la règle, il est ainsi persuadé d'avoir inventé le bonheur. La courtoisie, la bienséance, la civilité. Tout cela nous suggère-t-on, ce sont des salamalec, des trucs de vieux, des préjugés d'un autre âge et pire encore des mensonges ; et c'est contre la duplicité que dissimuleraient les rigueurs du savoir-vivre que l'on veut procéder au sacre des penchants. Et ce sont les élites, les gardiens traditionnels de la civilité qui donnent quitus à la brutalité de masse... C'est pathétique. Ce qui s'exprime aussi dans cette tendance à ramener tous les différends sur le terrain psychologique, c'est le refus de penser politiquement le monde.

P.B. - On ne pense plus en terme de tragédie, mais de mélodrame... C'est le couronnement du bourgeois.

J.F. - La bourgeoisie conquérante était une rude école disciplinaire, voyez encore Max Weber ... Ce type social est mort avec la précellence du désir.

Nuance importante. Le bourgeois, cela peut être beaucoup de choses. Pour faire vite : peut-être faudrait-il ici parler avec Marx et Renaud Camus des petits-bourgeois, suggérer l'hypothèse d'un remplacement au fil de l'histoire du bourgeois par son avatar le petit-bourgeois.

P.B. - Un désir qui est aussi à la base du système marchand. " Prenez vos désirs pour des réalités ", c'est un parfait slogan de supermarché ou d'organisme de crédit...

J.F. - J'avais de l'estime pour les situationnistes de Strasbourg, des étudiants brillants, un Tunisien surtout...

Je risque l'hypothèse qu'il s'agit de Mustapha Khayati, qui passe pour avoir été le principal rédacteur de la fameuse brochure De la misère en milieu étudiant, avant d'être ultérieurement exclu du mouvement.

P.B. - Pas un beur...

J.F - Ah non, il n'avait pas de petite main sur le coeur. Bien sûr le citoyen de la démocratie post-moderne est un consommateur, mais à l'horizon du désir sans borne c'est aussi un être trivial, un rustaud... un goujat et, surtout, surtout, j'y insiste, un être dont la violence instinctive n'est plus médiatisée par rien. Regardez ce qui se passe dans l'école de la République. Elle est "ouverte sur la vie" ; c'est la nouvelle mode, oh combien significative. Cela veut dire quoi ? Qu'elle a renoncé à être le sanctuaire où, à l'écart du monde justement, on entreprend le difficile polissage de l'enfant pour le rendre apte à l'urbanité, à l'entre-soi de la cité.

Vincent Descombes ne dit pas autre chose : cf. le P.S. à cet Ajout".

P.B. - C'est la démocratie des enfants gâtés.

J.F. - On a donc d'une part la juxtaposition potentiellement conflictuelle de groupes hétérogènes et d'autre part cette dramatique évolution des sociétés européennes qui débrident leurs anciennes disciplines et font crédit à la spontanéité du désir. Cette conjonction est explosive... Une société forte peut intégrer, mais la nôtre a renoncé à l'autorité... Comme je l'ai souligné dans ma Sociologie du conflit, il y a deux conditions pour qu'une crise dégénère en conflit. D'abord que s'affirme une bipolarisation radicale ; enfin, que le tiers s'efface. Tant que le tiers subsiste et parvient à affirmer son autorité, il n'y a guère de risque que la crise ne débouche sur un affrontement. Dans la société, la crise est une occurrence banale tant qu'il y a inclusion du tiers ; le conflit n'intervient qu'avec son exclusion. C'est cette exclusion qui est polémogène. Dans la situation présente du pays, le tiers est constitué par l'Etat et les différentes institutions qu'il patronne, comme l'école par exemple dont nous avons parlé, or non seulement l'Etat est frappé par la déshérence du politique, ce qui signifie qu'il se déleste de sa fonction cardinale qui est de pourvoir à la sûreté de chacun, mais les institutions subissent une sorte de pourrissement qui les rend de plus en plus inaptes à manifester leur vocation spécifique... Une distance culturelle qu'on ne parvient pas à combler entre l'immigration musulmane et le milieu d'accueil avec un danger de surchauffe violente, et un tiers en voie de dissolution ; cela, voyez-vous, me fait craindre le pire pour les années à venir.

Nous verrons... La situation actuelle amènerait à ajouter que la seule insistance sur la "fonction cardinale" de "pourvoir à la sécurité de chacun", lorsqu'elle ne s'accompagne pas d'une lutte plus large contre la "déshérence du politique", ne risque pas de faire diminuer le "danger de surchauffe violente".


Suite d'ici quelques jours !






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