mardi 28 avril 2009

"Un long crime chaque jour renouvelé..." (Apologie de la race française, IV-1.)

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Apologie I.

Apologie II.

Apologie III.

Apologie IV-2.

Apologie IV-3.

Apologie V.

Apologie VI-1.

Apologie VI-2.



"L'idée de sacrifice se substituait petit à petit à l'idée de don."

(P. Drieu la Rochelle, Gilles, 1939, première partie, ch. IX.)


Voici quelques textes liés à la conception sacrificielle de la patrie qui en ce moment me tourmente. Le commentaire suit aussitôt que possible.

Première salve :

"Sur les champs de bataille de la Somme, en 1916, il y eut autant de morts qu'à Verdun ; l'année précédente, les pertes françaises avaient été plus lourdes encore. Néanmoins, c'est toujours la bataille de Verdun (février-juillet 1916) que l'on célèbre, ses combattants que l'on exalte. Au vrai, pourquoi Verdun ? (...)

Enfer dès le premier jour, la bataille fut une improvisation permanente : les premières lignes enfoncées, aucun réseau de boyaux ou de tranchées n'avait été prévu pour supporter le choc d'un deuxième assaut : il n'y avait plus de front, mais un enchevêtrement, un émiettement inextricable de positions qu'on essayait en vain de raccorder les unes aux autres. Isolée, bombardée souvent par sa propre artillerie, chaque unité était entièrement livrée à elle-même, elle ne connaissait plus qu'une consigne : « Tenir ». Chacun avait la conviction que le sort de la bataille pouvait dépendre d'elle seule ; jamais tant d'hommes ne furent ainsi animés, et tous ensemble, par une pareille certitude ; jamais tant d'hommes n'assumèrent cette responsabilité avec un tel renoncement. Ayant supporté le deuxième choc, ils permirent au commandement de reconstituer un ordre de bataille, de s'y tenir, de l'emporter.

Sur le champ décomposé de cette immense bataille, les ordres se faufilaient grâce aux « coureurs » constamment sur la brèche. Aux hommes bombardés, mitraillés, assaillis par les nappes de gaz, ne sachant où aller ni que faire, démunis ou défaits, ils apportaient, mieux que la vie, la fin de l'incertitude ; car rien ne fut pire à Verdun que l'attente obsédante de la liaison avec les vivants ; et toujours leur réponse identique : il fallait encore tenir et attendre... Quoi ? La fin du bombardement, l'heure de l'attaque ennemi, espérée fiévreusement, pour quitter cette tranchée improvisée et souvent mourir.


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Avec ses avancées, ses îlots, ses digues et ses verroux formés de charniers, nul champ de bataille n'avait connu promiscuité pareille des vivants et des morts. Dès la relève, l'horreur prenait à la gorge, signalant à chacun l'implacable destin ; vivant, s'ensevelir dans le sol pour le défendre, mort, le défendre encore et y demeurer à jamais. La durée du sacrifice variait selon les bataillons ; mais qu'une part de l'effectif fût hors de combat, l'heure arrivait d'être relevé à son tour. (...)

Le général Pétain acceptait mal la limitation de ses effectifs : il obtint qu'on les renouvelât constamment : ce fut le « tourniquet des combattants ». Dès lors, Verdun devint la bataille de l'armée presque entière ; (...) elle comport[a] un peu plus de trois cent trente bataillons d'infanterie - sans compter les chasseurs -, deux cent cinquante-neuf passèrent à Verdun alors que cent neuf seulement participèrent à la bataille de la Somme. Ces chiffres mal connus ont leur importance : ils montrent que pour la France, Verdun a été la grande épreuve, l'épreuve purement nationale avec seulement trois ou quatre bataillons de troupes coloniales, contre dix-huit sur la Somme, et sans que l'Anglais y participe.

Ainsi, avec un matériel inférieur, Verdun put être interprété en quelque sorte comme une victoire de la race. Quelle différence avec la Somme et août 1918, où l'emportèrent les canons et les chars, ou avec la première bataille de la Marne qui fut une victoire du commandement ! (...)

La France payait de plus de trois cent cinquante mille victimes l'honneur d'avoir gagné cette bataille. (...) Les soldats de Verdun étaient maintenant revenus de leurs illusions de jeunesse ; ils ne s'imaginaient plus gagner la guerre en une seule bataille ; au moins avaient-ils la certitude que les Allemands ne passeraient pas. Ils avaient souffert tous ensemble pour sauver le pays, et la France tout entière avait connu leur sacrifice, la presse exaltant cette victoire plus qu'aucune autre. N'était-elle pas, à vrai dire, la première qui fut l'oeuvre de toute la nation ?


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Voilà pourquoi, jusqu'à leur mort, il est des millions d'hommes qui se sont souvenus. Ces jours-là, aux côtés de Pétain, il n'étaient plus « ceux de 14 », partis allègrement à la guerre comme à l'aventure, mais « ceux de Verdun », citoyens et gardiens de la terre." (M. Ferro, Pétain, Fayard, 1987, pp. 663-675 - lecture recommandée par P. Yonnet dans son Voyage....)


Deuxième salve :

"La guerre de 1914-1918 constitue, au sommet de la France parfaite, la grande « ordalie », le test réussi, peut-être trop bien réussi même. Aucun pays d'Europe n'a acquitté, dans un système de référence comparable, à mémoire d'historien, un prix aussi élevé pour un enjeu, proportionnellement, aussi mince.

Rappelons rapidement le volume des pertes. Pour une population de 38 millions de nationaux seulement, l'armée française a mobilisé 8 660 000 hommes, 8 180 000 étaient français de France ou d'Afrique du Nord. La métropole à elle seule a fourni 8 030 000 mobilisés, soit 20,2 % de la population totale et 75 % de la population masculine de vingt à vingt-cinq ans. Le nombre des tués et des disparus définitifs a dépassé 1 310 000 soit 16 % de l'effectif mobilisé. La proportion des tués parmi les combattants a dépassé 18 %, elle est double parmi les officiers issus presque exclusivement de la « classe bourgeoise ». Les bourgeois ont payé leur supercitoyenneté à la romaine d'un superimpôt du sang. Environ 1 100 000 reviendront frappés d'une invalidité permanente, parmi lesquels 56 000 amputés et 65 000 mutilés fonctionnels. Au total, voici 2 500 000 hommes pratiquement tués ou diminués, 600 000 veuves de guerre, 750 000 orphelins, près de 900 000 ascendants privés d'un fils, 2 250 000 personnes frappées au coeur même de leur affection. A ces pertes de guerre, il conviendrait d'ajouter 200 000 victimes civiles et 1 400 000 naissances perdues ou différées. Laissons pour le moment la perte des biens. La France, avec 10,5 morts ou disparus pour 100 hommes actifs, vient largement en tête devant l'Allemagne (9,8), l'Autriche-Hongrie (9,5), l'Italie (6,2), le Royaume-Uni (5,1), la Russie (5,0), la Belgique (1,9), les Etats-Unis (0,2).

La Russie nous fournira précisément un bon test de cohérence. Il est clair et communément admis que ce sont les pertes de guerre que la Russie n'a pas acceptées, c'est sous ce choc que cet immense empire a ployé. Avec un niveau de pertes plus de deux fois supérieur, la France a tenu.

Vous ne trouverez pas dans un passé immédiatement saisissable un niveau de sacrifices humains directement imputables à un affrontement politique, Etat contre Etat, comparable au prix acquitté par la communauté française à la fin de la IIIe République. Il faudrait remonter beaucoup plus avant, aux guerres puniques. Il y a quelque chose de romain dans cette République bourgeoise et paysanne de la fin du siècle dernier, avec sa sur-représentation des campagnes et sa méfiance presque maladive de la personnalisation du pouvoir, de toute forme de principat. La France sous la IIIe République a obtenu ce que seule la cité antique, proche, familière, avec sa religion, ses dieux, le culte païen des morts, était capable d'exiger de ses citoyens.


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Vous m'objecterez qu'en aval le niveau des pertes de la Seconde Guerre mondiale, en Russie, notamment, a été supérieur. Mais les pertes, certes supérieures, subies par la Russie soviétique de 1941 à 1945 ne constituent pas au même titre un test de cohérence. Pour apprécier la valeur de celui-ci, il faut faire intervenir deux facteurs supplémentaires.

D'abord, les conditions dans lesquelles cette guerre a été conduite. La France l'a menée sans modifier en quoi que ce soit ses institutions ; avec un régime parlementaire, un pouvoir collégial qui respecte le secret, une liberté de la presse totale à peine corrigée par la censure [l'auteur exagère un peu... mais il est vrai que la presse « libre » s'est très bien censurée toute seule, en allant souvent d'elle-même dans le même sens que ce que la censure pouvait lui demander ; il est vrai surtout que le régime lui-même n'a jamais tremblé en tant que tel.] Rarement guerre plus totale fut conduite par un pouvoir civil plus respectueux des formes juridiques du temps de paix. (...) L'effort colossal consenti par la population française de 1914 à 1918, et consenti sans aucune contrainte que celle invisible, non institutionnelle, du consensus quasi unanime de la société civile, plaide pour l'investissement actif immense à l'échelle nationale des Français sur la France.

Second facteur : la faiblesse de l'enjeu. Les grandes nations ne jouent pas, de 1914 à 1918, leur existence et leur style de vie comme elles le feront lors de la Seconde Guerre mondiale. (...) En dépit de ce qu'ont pu accréditer les propagandes, les buts de guerre ne comprenaient que des rectifications de frontières et des réparations. Si on excepte les premiers et les derniers mois, l'enjeu, pendant quatre ans, n'a jamais été le sort de la nation. Encore une fois, donc, le plus lourd effort de guerre consenti librement avec un minimum de contraintes étatiques constitue bien, au niveau des faits, le meilleur test de cohérence, la mesure indirecte sûre de la charge affectivement purement des Français, au début du XXe siècle, sur la France." (P. Chaunu, La France. Histoire de la sensibilité des Français à la France, Robert Laffont, 1982, pp. 18-20. Les chiffres de pertes humaines donnés par l'auteur remontent à 1965, sans doute ont-ils été corrigés depuis.)

Un petit contrepoint, célinien bien sûr, rapport à cette question de la propagande :

"Mentir, baiser, mourir. Il venait d'être défendu d'entreprendre autre chose. On mentait avec rage au-delà de l'imaginaire, bien au-delà du ridicule et de l'absurde, dans tous les journaux, sur les affiches, à pied, à cheval, en voiture. Tout le monde s'y était mis. C'est à qui mentirait plus énormément que l'autre. Bientôt, il n'y eut plus de vérité dans la ville."

"Tout ce qu'on touchait était truqué, le sucre, les avions, les sandales, les confitures, les photos ; tout ce qu'on lisait, avalait, suçait, admirait, proclamait, réfutait, défendait, tout cela n'était que fantômes haineux, trucages et mascarades. Les traîtres eux-mêmes étaient faux."

Ces deux extraits du Voyage au bout de la nuit sont reproduits par P. Yonnet dans son Testament de Céline, p. 129. Je n'ai pas cherché à les remettre dans leur contexte. Page 146 du même livre, l'auteur nous recommande et cite en partie « la plus étourdissante et la plus longue tirade anarchiste de toute l'histoire de la littérature française », celle du soldat Princhard, qui croyait échapper au front en volant quelques conserves et qui vient d'apprendre que sa manoeuvre a échoué. Je la reproduis, passées les premières phrases, in extenso - en notant au passage qu'elle s'applique parfaitement aux affaires actuelles de « séquestrations » de patrons.

"Elle s'est mise à accepter tous les sacrifices, d'où qu'ils viennent, toutes les viandes la Patrie... Elle est devenue infiniment indulgente dans le choix de ses martyrs la Patrie ! Actuellement il n'y a plus de soldats indignes de porter les armes et surtout de mourir sous les armes et par les armes... On va faire, dernière nouvelle, un héros avec moi !... Il faut que la folie des massacres soit extraordinairement impérieuse, pour qu'on se mette à pardonner le vol d'une boîte de conserves ! que dis-je ? à l'oublier ! Certes, nous avons l'habitude d'admirer tous les jours d'immenses bandits, dont le monde entier vénère avec nous l'opulence et dont l'existence se démontre cependant dès qu'on l'examine d'un peu près comme un long crime chaque jour renouvelé, mais ces gens-là jouissent de gloire, d'honneurs et de puissance, leurs forfaits sont consacrés par les lois, tandis qu'aussi loin qu'on se reporte dans l'histoire - et vous savez que je suis payé pour la connaître - tout nous démontre qu'un larcin véniel, et surtout d'aliments mesquins, tels que croûtes, jambon ou fromage, attire sur son auteur immanquablement l'opprobre formel, les reniements catégoriques de la communauté, les châtiments majeurs, le déshonneur automatique et la honte inexpiable, et cela pour deux raisons, tout d'abord parce que l'auteur de tels forfaits est généralement un pauvre et que cet état implique en lui-même une indignité capitale et ensuite parce que son acte comporte une sorte de tacite reproche envers la communauté. Le vol du pauvre devient une malicieuse reprise individuelle, me comprenez-vous ?... Où irions-nous ? Aussi la répression des menus larcins s'exerce-t-elle, remarquez-le, sous tous les climats, avec une rigueur extrême, comme moyen de défense sociale non seulement, mais encore et surtout comme une recommandation sévère à tous les malheureux d'avoir à se tenir à leur place et dans leur caste, peinards, joyeusement résignés à crever tout au long des siècles et indéfiniment de misère et de faim... Jusqu'ici cependant, il restait aux petits voleurs un avantage dans la République, celui d'être privés de l'honneur de porter les armes patriotes. Mais dès demain, cet état de choses va changer, j'irai reprendre dès demain, moi voleur, ma place aux armées... Tels sont les ordres... En haut lieu, on a décidé de passer l'éponge sur ce qu'ils appellent « mon moment d'égarement » et ceci, notez-le bien, en considération de ce qu'on intitule aussi « l'honneur de la famille ». Quelle mansuétude ! Je vous le demande, camarade, est-ce donc ma famille qui va s'en aller servir de passoire et de tri aux balles françaises et allemandes mélangées ?... Ce sera bien moi tout seul, n'est-ce pas ? Et quand je serai mort, est-ce l'honneur de ma famille qui me fera ressusciter ?...


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Tenez, je la vois d'ici, ma famille, les choses de la guerre passées... Comme tout passe... Joyeusement alors gambadante ma famille sur les gazons de l'été revenu, je la vois d'ici par les beaux dimanches... Cependant qu'à trois pieds dessous, moi papa, ruisselant d'asticots et bien plus infect qu'un kilo d'étrons de 14 juillet pourrira fantastiquement de toute sa viande déçue... Engraisser les sillons du laboureur anonyme c'est le véritable avenir du véritable soldat ! Ah ! camarade ! Ce monde je vous l'assure n'est qu'une immense entreprise à se foutre du monde ! Vous êtes jeune. Que ces minutes sagaces vous comptent pour des années ! Ecoutez-moi bien, camarade, et ne le laissez plus passer sans bien vous pénétrer de son importance, ce signe capital dont resplendissent toutes les hypocrisies meurtrières de notre Société : « L'attendrissement sur le sort, sur la condition du miteux... » Je vous le dis, petits bonhommes, couillons de la vie, battus, rançonnés, transpirants de toujours, je vous préviens, quand les grands de ce monde se mettent à vous aimer, c'est qu'ils vont vous tourner en saucissons de bataille... C'est le signe... Il est infaillible. C'est par l'affection que ça commence. Louis XIV au moins, qu'on se souvienne, s'en foutait à tout rompre du bon peuple. Quant à Louis XV, du même. Il s'en barbouillait le pourtour anal. On ne vivait pas bien en ce temps-là, certes, les pauvres n'ont jamais bien vécu, mais on ne mettait pas à les étriper l'entêtement et l'acharnement qu'on trouve à nos tyrans aujourd'hui. Il n'y a de repos, vous dis-je, pour les petits, que dans le mépris des grands qui ne peuvent penser au peuple que par intérêt ou sadisme... Les philosophes, ce sont eux, notez-le encore pendant que nous y sommes, qui ont commencé par raconter des histoires au bon peuple... Lui qui ne connaissait que le catéchisme ! Ils se sont mis, proclamèrent-ils, à l'éduquer...


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Ah ! ils en avaient des vérités à lui révéler ! et des belles ! Et des pas fatiguées ! Qui brillaient ! Qu'on en restait tout ébloui ! C'est ça ! qu'il a commencé par dire, le bon peuple, c'est bien ça ! C'est tout à fait ça ! Mourons tous pour ça ! Il ne demande jamais qu'à mourir le peuple ! Il est ainsi. « Vive Diderot ! » qu'ils ont gueulé et puis « Bravo Voltaire ! » En voilà au moins des philosophes ! Et vive aussi Carnot qui organise si bien les victoires ! Et vive tout le monde ! Voilà au moins des gars qui ne le laissent pas crever dans l'ignorance et le fétichisme le bon peuple ! Ils lui montrent eux les routes de la Liberté ! Ils l'émancipent ! Ça n'a pas traîné ! Que tout le monde d'abord sache lire les journaux ! C'est le salut ! Nom de Dieu ! Et en vitesse ! Plus d'illettrés ! Il en faut plus ! Rien que des soldats citoyens ! Qui votent ! Qui lisent ! Et qui se battent ! Et qui marchent ! Et qui envoient des baisers ! A ce régime-là, bientôt il fut fin mûr le bon peuple. Alors n'est-ce pas l'enthousiasme d'être libéré il faut bien que ça serve à quelque chose ? Danton n'était pas éloquent pour des prunes. Par quelques coups de gueule si bien sentis, qu'on les entend encore, il vous l'a mobilisé en un tour de main le bon peuple ! Et ce fut le premier départ des premiers bataillons d'émancipés frénétiques ! Des premiers couillons voteurs et drapeautiques qu'emmena le Dumouriez se faire trouer dans les Flandres ! Pour lui-même Dumouriez, venu trop tard à ce petit jeu idéaliste, entièrement inédit, préférant somme toute le pognon, il déserta. Ce dut notre dernier mercenaire... Le soldat gratuit ça c'était du nouveau... Tellement nouveau que Goethe, tout Goethe qu'il était, arrivant à Valmy en reçut plein la vue. Devant ces cohortes loqueteuses et passionnées qui venaient se faire étripailler spontanément par le roi de Prusse pour la défense de l'inédite fiction patriotique, Goethe eut le sentiment qu'il avait encore bien des choses à apprendre. « De ce jour, clama-t-il, magnifiquement, selon les habitudes de son génie, commence une époque nouvelle ! » Tu parles ! Par la suite, comme le système était excellent, on se mit à fabriquer des héros en série, et qui coûtèrent de moins en moins cher, à cause du perfectionnement du système. Tout le monde s'en est bien trouvé. Bismarck, les deux Napoléon, Barrès aussi bien que la cavalière Elsa. La religion drapeautique remplaça promptement la céleste, vieux nuage dégonflé déjà par la Réforme et condensé depuis longtemps en tirelires épiscopales. Autrefois la mode fanatique, c'était « Vive Jésus ! Au bûcher les hérétiques ! », mais rares et volontaires après tout les hérétiques... Tandis que désormais, où nous voici, c'est par hordes immenses que les cris : « Aux poteaux les salsifis sans fibres ! Les citrons sans jus ! Les innocents lecteurs ! Par millions face à droite ! » provoquent les vocations. Les hommes qui ne veulent ni découdre, ni assassiner personne, les Pacifiques puants, qu'on s'en empare et qu'on les écartèle ! Et les trucide aussi de treize façons et bien fadées ! Qu'on leur arrache pour leur apprendre à vivre les tripes du corps d'abord, les yeux des orbites, et les années de leur sale vie baveuse ! Qu'on les fasse par légions et légions encore, crever, tourner en mirlitons, saigner, fumer dans les acides, et tout ça pour que la Patrie en devienne plus aimée, plus joyeuse et plus douce ! Et s'il y en a là-dedans des immondes qui se refusent à comprendre ces choses sublimes, ils n'ont qu'à aller s'enterrer tout de suite avec les autres, pas tout à fait cependant, mais au fin bout du cimetière, sous l'épitaphe infamante des lâches sans idéal, car ils auront perdu, ces ignobles, le droit magnifique à un petit bout d'ombre du monument adjudicataire et communal élevé pour les morts convenables dans l'allée du centre, et puis aussi perdu le droit de recueillir un peu de l'écho du Ministre qui viendra ce dimanche encore uriner chez le Préfet et frémir de la gueule au-dessus des tombes après le déjeuner..."


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(pp. 67-70 de l'édition « Folio plus »).

Bardamu enchaîne en critiquant l'intellectualisme de Princhard ("Il avait le vice des intellectuels, il était futile. Il savait trop de choses ce garçon-là et ces choses l'embrouillaient. Il avait besoin de tas de trucs pour s'exciter, se décider.") : révérence gardée, ce procédé est un peu facile, qui consiste à placer une belle tirade, éminemment littéraire, dans la bouche d'un personnage, pour reprocher ensuite à l'« auteur » de la tirade - son émetteur - d'être trop littéraire.

(Toutes proportions gardées, cela fait penser à ces romans contemporains dont les auteurs sont à la fois fiers et honteux de leur culture, ne peuvent s'empêcher de l'étaler tout en cherchant à prendre leurs distances avec elle, pour ne pas choquer peut-être le prolo (qui ne les lit pourtant pas souvent). J'ai par exemple toujours été irrité par ces personnages des romans de Jean-Bernard Pouy, paumés solitaires, victimes de la violence de la société, mais opportunément pourvus d'une licence de lettres permettant à l'auteur de parler de Spinoza de temps à autre.)

Sauf erreur de ma part, le Céline de Féérie ou de la trilogie ne se livrera plus à ces tours de passe-passe un peu faux cul, et saura mieux intégrer ce qu'il a à dire à l'action (« simple chroniqueur... ») sans passer par des tirades exemplaires, fussent-elles aussi réussies que celles-ci, qui chatouillent tout de même son orgueil d'artisan romancier.

Cette dernière remarque m'amenant à une ultime précision : j'avais émis des réserves sur ce que j'avais compris être la réduction par P. Yonnet de l'oeuvre de Céline au Voyage : la lecture du Testament de Céline m'a amené à constater qu'il s'agit de l'enregistrement du choc que la découverte du premier roman de Céline avait provoqué chez le jeune Yonnet, autant que de la volonté de rappeler à quel point la sortie de ce roman fut un éblouissement, une rupture pour tout le monde. Parti pris légitime donc, quand bien même mes préférences personnelles ne seraient pas les mêmes.


Commentaires à suivre !


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Oui, on peut donner des significations différentes à l'emploi de cette Femme folle pour finir, je vais notamment l'utiliser comme transition avec une anecdote à laquelle le texte de Céline m'a fait penser : « l'auteur de tels forfaits [un vol] est généralement un pauvre ». Grâce à notre merveilleuse civilisation, cet archaïsme sans disparaître n'est plus aussi rigoureux : l'exemple de la mère et de la belle-mère du peu pauvre footballeur anglais John Terry, prises la main dans le sac avec 8OO livres sterling (je sais, ça ne vaut plus grand chose...) de marchandises volées dans un grand magasin, dans le plus pur style décadent briton « absolutly fabulous », laisse pour le moins rêveur... Dans Les enfants du paradis Arletty reprochait à son amant riche de « vouloir être aimé comme un pauvre », c'est-à-dire pas pour son argent : « Qu'est-ce qu'ils leur restent, alors aux pauvres ? » Si de plus les riches se mettent à voler comme des pauvres, où va-t-on ?... Mais cela ne fait que confirmer ce mal actuel de la société, qui est que les riches ne sont plus que « des pauvres avec plus d'argent »... Rule Britannia !

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samedi 25 avril 2009

It's a wonderful life !

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J'avais déjà été frappé de certain rapprochement que l'on pouvait faire entre les pensées de ces deux grands contemporains que furent Mauss et Bernanos. Ce qui suit, écrit par Bernanos en décembre 1940, ne fait que confirmer la validité de ce rapprochement :

"S'il existe une morale des maîtres, elle ne saurait se distinguer de l'autre [celle des esclaves] que par l'étendue et la sévérité de ses exigences, mais l'esprit public est tombé si bas, même chez les chrétiens, que le mot de maître évoque instantanément l'idée de sujétion, non de protection. « Il n'y a pas de privilèges, il n'y a que des services », tel était jadis le principe fondamental de l'ancien droit monarchique français. Mais il ne peut être compris que par une nation de vieille race, de race seigneuriale, pour qui la marque la plus évidente d'une basse origine est d'être naturellement tenté de se servir des faibles au lieu de les servir.


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Lorsque l'on parle de la tradition libérale ou démocratique de mon pays, on oublie qu'elle exprime, souvent sans le savoir, une conception aristocratique de la vie. Car elle n'a nullement le sens ni l'esprit d'une simple revanche des opprimés contre les oppresseurs, elle traduit en un vocabulaire malheureusement mis à la portée du premier venu, d'un public inculte - du monde moderne en un mot -, le sentiment à la fois chrétien et chevaleresque que la véritable égalité ne peut naître que dans une société assez ancienne pour que l'étroite solidarité des obligations librement consenties fasse tour à tour, de chacun de ses membres, des serviteurs conscients de leurs droits et des maîtres conscients de leurs devoirs. Mais qui se soucie aujourd'hui de l'expérience accumulée au cours des siècles par un peuple aussi sage et aussi humain que le nôtre ? Les politiciens répètent à tort et à raison le mot de démocratie et le public docile croit fermement que ce mot signifie la même chose pour un paysan de l'Ile-de-France que pour un mineur de Californie. Ce qui importe à l'homme, ce n'est pas d'avoir des droits, mais la fierté nécessaire pour en porter la charge avec naturel et dignité, car ils pèsent plus lourd que les devoirs."

(« Race contre nation », in Le chemin de la Croix-des-âmes, Essais et écrits de combat, « Pléiade » t. 2, p. 217.)


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Une précision : c'est, encore une fois, via les conseils de P. Yonnet que j'ai relu ce texte, dont je dois utiliser la suite sous peu. Nous baignons dans l'Yonnet en ce moment, mais le fait est qu'il vous donne envie de (re)découvrir de nombreux auteurs, des plus « classiques » au plus anonymes. Ce qui était aussi le cas, dans une moindre mesure, de Jean-Claude Michéa, à qui je dois ma rencontre avec le Voyage au centre du malaise français, Michéa que j'ai d'ailleurs de ce fait laissé tomber après une première livraison pourtant prometteuse, quelle ingratitude, quelle entorse au don/contre-don. A charge de revanche !

Deux compléments :

- est-ce parce qu'il risque de devenir de plus en plus vrai, j'éprouve le besoin de citer de nouveau ce sain principe de Cioran, :

"On doit se ranger du côté des opprimés en toute circonstance, même quand ils ont tort, sans pour autant perdre de vue qu'ils sont pétris de la même boue que leurs oppresseurs."

- mon fils - 5 ans, déjà... -, avec une acuité toute girardienne, ou murayenne, me déclare, après une vision de Il était une fois l'homme, qu'il n'aime pas la Révolution française, « parce que c'est plein de femmes qui crient ». Un conservateur macho de plus dans la famille, madame est ravie !


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"La femme est l'avenir des cons / Et l'homme est l'avenir de rien..."

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mardi 21 avril 2009

"A force de prêter son cul..."

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Oui, je ne suis pas spécialiste de la politique intérieure iranienne et de ses arcanes et paradoxes, je me permets juste de vous conseiller de vous reporter au document des Nations Unies tel qu'on le trouve via Egalité et Réconciliation, vous aurez des idées plus précises sur ce qu'a effectivement dit le président iranien.

Etant bien entendu que, hormis certains détails, et toute question d'opportunité politique mise à part, je partage l'essentiel de ce qu'a déclaré M. Ahmadinejad. Encore faut-il y avoir accès, puisque les dépêches que l'on peut lire sur les principaux sites de presse s'étendent bien plus sur les réactions offusquées des faux-culs occidentaux que sur les propos qui les ont déclenchées - quel salaud, aussi, ce semi-bougnoule, d'oser dire que les Etats-Unis, Israël, la mentalité enculiste et l'oubli de certaines valeurs morales de base ne sont pas pour rien dans la crise actuelle.

Ach, ce n'est pas nouveau comme tactique, mais la ficelle est un peu plus usée chaque jour. Il n'y a plus qu'à espérer qu'elle se rompe bientôt.


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Et tiens, puisqu'on parle de corde dans la maison d'un pendu, un clin d'oeil pour les céliniens, petits et grands...




P.S. Je découvre, mieux vaut tard que jamais, qu'il y avait un pataquès dans les appels de notes des récentes "Apologies". Je corrige cela derechef, et actualise du même coup les « citations » de Fernandel et Godard faites à YouTube, qui ont connu quelques soucis techniques.

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mercredi 15 avril 2009

Tombé dessus complètement par hasard.

"Si vous ne croyez pas à l'esprit, vous croirez à la matière, et aux esprits par-dessus le marché." Ferdinand Brunetière.


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Que dire de plus ?

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lundi 13 avril 2009

Nous l'avons voulu, nous l'avons eu. (Apologie de la race française, III.)

Apologie I.

Apologie II.

Apologie IV-1.

Apologie IV-2.

Apologie IV-3.

Apologie V.

Apologie VI-1.

Apologie VI-2.



Nouveau changement de direction, pas du tout le texte prévu à l'origine. Seules quelques données brutes, aujourd'hui, dont nous analyserons en temps et heure causes et conséquences :

"Dans le cadre des frontières actuelles, le territoire [français] comptait 7 millions d'habitants au début de l'ère chrétienne, soit 26% du total européen, et 20 millions en 1340, ce qui représentait environ 27% du total européen. Chiffres considérables, caractéristique de base, hors laquelle il est vain de vouloir expliquer l'histoire de ce pays et son retentissement dans le monde. En 1750, la France était encore cette imposante « Chine de l'Europe ». Elle comptait 24 millions d'habitants, le Royaume-Uni 10 millions, la Russie 18 ! En 1800 elle apparaissait toujours comme un monstrueux réservoir d'hommes, avec ses trente millions d'habitants (dans les limites actuelles, 40 millions dans les limites politiques de l'époque), autant que la Russie ; les Autrichiens étaient 24 millions, les Anglais 18 millions, les Prussiens 9 millions, la population des Etats-Unis venait de dépasser 5 millions ! (...)

Après... Durant tout le XIXe siècle, la France [seul pays au monde dans ce cas ! là voilà l'exception française...] présente la fécondité la plus faible du monde, affichant des records à la baisse successifs, crevant régulièrement le plancher de ce que l'on croyait possible dans un contexte de progrès économique, d'où famines et grandes épidémies ont disparu, étant constamment incapable de remplacer ses générations à la naissance. En France, la baisse de la fécondité se déclenche trop rapidement après la baisse de la mortalité, sans l'anticiper, alors que, dans les autres pays, on observe un effet retard. Ainsi se prive-t-elle des possibilités d'accroissement naturel considérables de la population dont bénéficiera l'ensemble de l'Europe. Entre 1750 et 1910 s'est joué le destin de la France. Tandis qu'elle reste le seul pays, malgré le recul de la mortalité, à ne pas réussir à doubler ses effectifs (coefficient multiplicateur de 1,7), l'Angleterre multiplie sa population par 6, la Russie par 4,8, l'Allemagne par 4,5.

Les Français sont assez satisfaits de leur réserve jusqu'à la guerre de 1870, un désastre total dont on ne se représente plus ni l'ampleur ni le retentissement, d'où sortiront deux guerres mondiales, le nazisme et la révolution russe, et qui a pour conséquence de faire apparaître les deux thèmes de la dépopulation et de la décadence, liés."

(P. Yonnet, Famille I. Le recul de la mort. L'avènement de l'individu contemporain, Gallimard, 2006, pp. 176-178)

Ces chiffres donnent le vertige. Tirons-en tout de suite quelques conclusions rapides :

- le changement de proportion est tel par rapport aux voisins européens qu'il y a une évidente brisure de l'histoire nationale à partir de 1750, ou un peu après, jusqu'au symbole de 1870 (sans même parler de la saignée de 1914-1918, qui fera l'objet d'une étude à part) : la France reste certes la France, comme dirait de Gaulle, mais on peut aussi soutenir que nous ne vivons plus vraiment dans le même pays que nos ancêtres du Grand Siècle. C'est vrai pour tous les pays européens, dira-t-on, c'est une des différences entre tradition et modernité - à ceci près que ces pays européens ont tous évolué à peu près au même rythme, alors que la France s'est retrouvée seule sur ce chemin, d'abord en sens contraire des autres, et en contre-sens total par rapport à son modèle précédent. Une exception, à n'en pas douter ;

- sans doute peut-on saisir ici une des causes de la méfiance persistante des Français vis-à-vis de l'« économie » : la révolution industrielle s'est produite chez nous en période de déprime démographique. Certes nos voisins, et principalement les Anglais, ont alors eu à lutter contre des phénomènes de pauvreté de masse dans des proportions qui nous furent inconnues, mais l'accroissement général de puissance pour le pays a permis (en tout cas aux élites, après il faudrait être plus précis) d'identifier en quelque mesure révolution industrielle, puissance économique, et puissance anglaise. De même, avec retard et mutatis mutandis, pour la Prusse ;

- dans le même ordre d'idées, on voit bien que l'Empire français a pu jouer un rôle de compensation à ce déclin, alors que l'Empire anglais accompagna la montée en puissance du pays (nous sommes ici à un niveau « semi-conscient », Français comme Anglais sentirent ces choses sans pouvoir s'appuyer sur des statistiques). D'où peut-être - encore une fois, toutes choses égales par ailleurs - qu'il fût plus aisé pour les Anglais de lâcher leurs colonies sans trop de sentiment de décadence, alors que pour nous c'était perdre notre dernier cache-sexe - et ce qu'il y avait en-dessous était bien rabougri ;

- enfin, bien sûr, on saisit ici, à sa naissance, le rôle de l'immigration dans l'histoire de France : puisque les Français n'étaient plus capables de se renouveler complètement, il a bien fallu faire venir des étrangers. Simplicité biblique. Il est de même parfaitement clair que la venue en masse d'étrangers est liée, historiquement et symboliquement, à un déclin français. (Sur ce point, pas de malentendu : à la fin du XIXe siècle la France est un des pays les plus riches du monde, et culturellement d'une richesse extraordinaire. Elle s'est donc redressée, si l'on veut, mais seulement par rapport à 1870 ; sur le long terme, par rapport à ce qu'elle représentait en termes de puissance, au XVIIe siècle, elle se situe désormais à un niveau intrinsèquement inférieur. Les Français le savent, qui parlent alors de décadence tout le temps. La Grande Guerre le confirmera, tout en amputant encore la France de si nombreux éléments.) Et si déjà au XIXe siècle nous pouvions en vouloir aux étrangers venus en France de nous faire voir, au jour le jour, notre déclin, qu'en est-il aux XXe-XXIe, dans les périodes de crise, années 30 et aujourd'hui, et après la perte de l'Empire, alors que ces étrangers sont plus nombreux qu'avant, et culturellement de plus en plus étrangers, au moins lorsqu'ils arrivent en France ?

Bon, je voulais faire bref, donc je m'arrête, et conclus sur ce point : la France est un pays d'immigration récent [1], cette immigration a été suscitée par une carence dans le renouvellement des générations (carence que l'on peut par ailleurs louer pour des raisons culturelles, j'y reviendrai, mais carence indéniable d'un point de vue démographique) et par personne d'autre (si cela peut vous consoler, il en est de même, avec retard par rapport à la France, pour tous les pays occidentaux, le cas de l'Italie, traditionnellement pays d'émigration, étant le plus évident. Je vois des touristes dans le métro s'y étonner du nombre de Nègres et d'Arabes, ils n'ont pas fini de s'en étonner, en France, mais aussi chez eux. Démonstration à suivre...). Sans donc entrer dans les débats actuels sur répression-prévention-délinquance étrangère-racisme anti-blanc-racisme institutionnel-etc. etc., qui ne se confondent pas avec cette thèse, il faut marquer une fois pour toutes qu'à la base la France a eu besoin d'étrangers parce qu'elle n'était plus capable à elle seule de se renouveler. Et que c'est pas fini !



[1]
"Chez nous, l'immigration massive a été relativement tardive : en 1851, à la veille du Second Empire, les étrangers ne représentaient pas 1% de la population ; ils sont 2% vers 1872, au début de notre IIIe République (...). Vers 1914 leur proportion [demeure] inférieure à 3% de l'ensemble." F. Braudel, L'identité de la France, 1986, réed. Flammarion, coll. « Champs », 1990, t. 2, p. 207. Cité (avec les coupures signalées) par P. Yonnet, Voyage au centre du malaise français, p. 175.

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samedi 11 avril 2009

La chute des anges.

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(Londres, 1940 et 1943.)



Je lis dans Le testament de Céline de Paul Yonnet (Fallois, 2009, pp. 88), livre dont la lecture risque de reporter encore la publication des suites de notre "Apologie de la race française"..., ces quelques propos de Charles de Gaulle, notés par Claude Mauriac en 1946 :

"L'Angleterre ne veut à aucun prix que la France retrouve sa puissance."

"[Churchill] a perdu l'indépendance de son pays qui est devenu un dominion des Etats-Unis. (...) Dès lors les Anglais nous ont tout le temps trahis. Bien plus, ils ont trahi la Croix dans le Proche-Orient. Et ils ont ici trahi l'Occident, ils se sont trahis eux-mêmes. Je l'ai dit à Churchill. Je lui ai dit : « En définitive, c'est contre vous que vous travaillez. »"

Sur les Etats-Unis : "Ce qui risque d'être la pression américaine est effarant. Si jamais ce jeune pays est, par la force des choses, maître du monde, on n'ose imaginer jusqu'où ira son impéralisme. Ah, il faut avoir l'oeil..."

Sans commentaire !


Ou plutôt si, mais par la bande. Dans notre série "Les vingt plus belles actrices", après l'adorable Reese Witherspoon, je vais descendre un niveau supplémentaire dans l'abjection américaine et la vulgarité, en la personne de Jayne Mansfield.


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Marilyn - qui fera partie de ces vingt plus belles, à n'en pas douter - est déjà un incroyable excès, mais, ô miracle, elle a toujours gardé, même jusque dans ses épisodes les plus artificiels, une part intacte de naturel. Cette coexistence de la nature et de l'artifice - qui pourrait être une définition de l'éternel féminin : le comble à la fois, dans le même temps, du naturel et de l'artificiel - est sa marque propre, son génie particulier (et donc, si je suis la définition que je viens de proposer, la raison pour laquelle elle incarne si durablement l'éternel féminin).

Avec Jayne Mansfield, cette caricature à peine poussée parfois de Marilyn,


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cet équilibre se rompt, au profit bien sûr de l'artifice. Un fil se détache, une amarre est larguée, nous sommes dans l'américanisme pur : ça ressemble au réel, ça a les critères de reconnaissance du réel - en l'occurrence, une énorme paire de seins - et pourtant ce n'est plus que du virtuel. D'où l'idée, bien naturelle (en réalité, on le sait, un cliché du siècle de la célébrité), de prendre la belle en photo mirant sa propre notoriété, avec pour seul compagnon ce chien toujours chaudement placé entre ses cuisses,


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d'où aussi le côté pornographique de ces photographies « intimes »,


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ce que j'ai écrit sur le type de beauté de Jayne Mansfield s'appliquant d'ailleurs aussi bien à l'« érotisme » hollywoodien (et désormais « français »), avec ses femmes qui gémissent comme des folles au moindre début d'attouchement, qu'au porno américain et ses blondes frigides aux fausses poitrines.


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(Peut-être d'ailleurs tout film porno, américain, français ou tamoul, est-il d'emblée et irrémédiablement du côté du virtuel, sans rapport aucun avec quelque réel que ce soit. Je laisse les excellents spécialistes L. Maubreuil et Orlof y réfléchir...)


D'où aussi ce côté kitsch toujours aussi sidérant, cinquante ans après, qui en dit si long sur la « civilisation » américaine. Le Général le disait, qu'il fallait avoir l'oeil...


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(Les chiens, encore... Comme si la seule compagnie masculine que ces créatures d'éther pouvaient durablement admettre était purement animale. Et l'on sait le rôle des animaux de « compagnie » dans la vie des femmes américaines, on connaît le contraste entre l'état des hôpitaux publics pour pauvres et des hôpitaux privés pour chiens... Crève, « Occident » !)


Il reste, c'est la morale très (trop ?) judéo-chrétienne de l'histoire, que cette tentative virtualiste - que quant à moi je trouve touchante, j'ai de plus un souvenir ému de ses films avec F. Tashlin - a avorté : l'artifice avait été poussé trop loin, l'artifice tout seul ne suffit pas - ainsi que nos amis Américains sont en train de le découvrir. Symbole pour symbole, c'est dans cet emblème de l'American dream appelé voiture que les chairs hyperboliques mais bien réelles de Janye Mansfield subirent le choc qui les déchira et détruisit,


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en 1967, après quelques années d'errance et de déchéance, le public s'étant lassé assez vite de cette beauté trop quantitative, trop fictive. Le climat est autre, on préfère d'autres types de beauté, que ces deux photographies de Jane Fonda chez T. Sutpen (à qui j'ai aussi emprunté les photos de Londres en ouverture et celle du tombeau métallique de Jayne Mansfield) peuvent assez bien délimiter.

(Tant que j'y suis et dans le même esprit : deux photos du traître (décoré, of course) à la nation Churchill. Il est vrai qu'il ne fut pas le premier et que ce pays si fier de lui et de son armée lutte contre lui-même, avec l'« aide » de ces salauds d'Ecossais (inventeurs des Lumières, de l'économie politique, de la franc-maçonnerie et des fonds de pension, il fallait le faire... c'est l'Israël de l'Europe !), depuis des siècles maintenant. Pas étonnant que ses classes populaires soient plus violentes, plus alcooliques et plus xénophobes que la moyenne, avec tout ce qu'elles prennent dans la gueule depuis si longtemps...)

Revenons au présent. La métaphore est en place, il ne vous reste plus qu'à la filer : les Américains sont revenus au virtualisme, au pur artifice. Même cause, même effet : ce n'est plus une actrice bimbo avant l'heure qui s'écrase dans une automobile, c'est l'industrie automobile qui s'écrase, et d'autres avec elle. Et nous avec ?


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Joyeuses Pâques...


(Oui, une dernière remarque : on pourrait analyser le personnage d'Anita Ekberg dans La dolce vita (1960) comme une tentative de Fellini de réacclimater à l'Europe et à la nature une femme moderne et virtuelle, de voir ce que leur confrontation peut donner : l'assomption, ou le baptême, de la beauté moderne par le passé européen, et une érection chez Marcello... jusqu'à ce que la vie quotidienne, personnifiée, bouclons la boucle de ce texte, par un laitier, ne brise l'illusion de cette possible réconciliation.)

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mercredi 8 avril 2009

Ne travaillez jamais !

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En guise de remerciement amical à celui qui m'a offert le livre d'où sont issues les lignes qui suivent, et en attendant la troisième livraison de notre "Apologie de la race française...", voici aujourd'hui un texte qui, comme celui de Raymond Aron il y a peu, vaut autant par son contenu que par la surprise que peut causer la mise en rapport de ce contenu avec l'image que l'on a spontanément de l'auteur, chroniqueur au Figaro et à L'Express. Nous sommes en 1948.

"Ceci en tout cas n'est pas imaginaire : l'effort titanesque de la Russie soviétique pour atteindre en dix ans et pour dépasser la production des Etats-Unis. M. André Carrel, qui en revient, encore mal réveillé de son enchantement, assure aux lecteurs de L'Humanité que « l'ouvrier soviétique s'est tourné avec un optimisme joyeux vers sa fraiseuse, son four-martin, son marteau-piqueur, son tracteur, il a craché dans ses mains et il a dit : “On peut y aller !” »

Oui, bien sûr : sans la foi rien de grand ne s'accomplit en ce monde. Sans la foi stakhanoviste qui soulève l'élite de la classe ouvrière russe, le plan quinquennal n'aurait aucune chance d'être accompli en quatre ans. Il reste que pour violenter la matière, que pour la dompter dans un temps record, il a toujours fallu, au siècle de Chéops comme au siècle de Staline, qu'un petit nombre d'hommes fasse suer à des esclaves sans nombre leur suprême sueur. (...)

Et je resonge à ce forcené de dix-neuf ans, à ce Rimbaud qui s'enferme dans le grenier de sa mère, à Roche, au mois de mai 1873 ; j'entends sa protestation rageuse contre le travail forcé : « J'ai horreur de tous les métiers », balbutie cet ange furieux, dressé au seuil de l'ère industrielle. « Quel siècle à mains... Jamais je ne travaillerai. » C'est la révolte en quelque sorte viscérale, c'est le non serviam d'une humanité qui pressent sa condamnation au « rendement » forcé jusqu'à la mort pour le compte de divinités sans entrailles qui n'ont pas, comme les patrons en chair et en os, un mufle qu'elle puisse haïr : l'Etat, la race, le Parti.

Vers le même temps, un Genevois, Henri-Frédéric Amiel, écrivait [et c'est digne d'un primitif des Trobriand, foi de Genevois !] : « L'activité n'est belle que si elle est sainte, c'est-à-dire dépensée au service de ce qui ne passe pas. » Enfin, une troisième parole me revient : celle de cette vieille paysanne de chez nous à qui on demandait ce qu'elle faisait, toute la journée, assise sur une chaise dans l'église, et sans même prier, et qui répondit simplement : « Je Le vois et Il me voit. »

Ces êtres si différents les uns des autres : cet adolescent forcené dans le grenier de son enfance (...), ce protestant genevois, cette vieille femme illettrée, chacun dans son ordre, expriment d'avance la protestation des poètes et des saints qui refusent de tourner la meule pour le compte d'un maître étranger, qui exigent de rester les maîtres de leur âme, pour la sauver ou la perdre - librement."

François Mauriac, Le Figaro, 28 janvier 1948 ; repris dans La paix des cimes. Chroniques 1948-1955, Bartillat, 2009, pp. 14-16.


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Figaro pour Figaro, c'est autre chose que du Rioufol... On pourrait d'ailleurs s'amuser à comparer ce dernier à son alter-ego Olivier Besancenot, tant les deux commettent le même genre d'erreur. Le premier s'inquiète de l'identité française et de son devenir, tout en voulant laisser les patrons faire ce qu'ils veulent - donc, de fait, utiliser de la main-d'oeuvre immigrée - et en semblant ignorer que s'il y a un pays occidental où l'Etat a joué un rôle constitutif dans l'élaboration de la Nation, c'est bien le nôtre ; le second veut un Etat-Providence fort, mais ne veut pas des frontières qui permettent à la puissance de l'Etat, lequel ne peut être seulement Providence, de s'exercer.

Laissons ces deux laborieux morpions gratter indéfiniment et en toute complémentarité de médiocres les mêmes zones d'ombre, et revenons à Mauriac, qui, comme Chesterton - un auteur que j'ai scandaleusement sous-utilisé, à charge de revanche -, a le bon goût de rappeler quelques « fondamentaux » chrétiens sur la liberté et l'esclavage. Cela m'intéresse aussi, incidemment, pour les ponts ainsi dressés entre tradition et modernité, et c'est en ce sens que j'ai évoqué en passant les Trobriand.

On peut toujours répondre que chez les « Argonautes » de Malinowski la Kula était une cérémonie officielle, qu'il y avait autant de conformisme là-bas qu'il y en a ici... et on aura je crois confondu deux choses : le besoin pour toute société d'être réglée par quelques valeurs cardinales, principielles (la difficulté je le rappelle pour la nôtre étant qu'une de ses valeurs est l'individualisme, qui lui-même est un puissant dissolvant de valeurs) ; la passivité de la masse, ou de la majorité des individus par rapport à ces valeurs. Ces deux caractéristiques n'ont pas de raison de différer beaucoup selon que l'on se trouve dans une société moderne ou une société traditionnelle : les grands hommes, quoi que l'on entende par là, sont par définition rares, et il ne nous semble pas que desserrer, au moins en apparence d'ailleurs (l'individualisme est une valeur forte), la contrainte des « valeurs cardinales » ait tellement rendu les masses moins passives que ça (c'est le paradoxe de Tocqueville).

Il serait déjà plus intéressant de constater que si conformisme il doit y avoir, celui des Trobriand nous semble nettement plus vivant que le nôtre, moins anxiogène, et évidemment moins destructeur. Ce qui nous fascine dans la Kula, c'est cette capacité à concilier des caractères agonistiques et une forme de paix sociale, capacité qui plus est sciemment organisée - alors que les époques intéressantes de la modernité (depuis la Renaissance) qui ont pu elles aussi être vivantes sans être chaotiques paraissent l'avoir fait par hasard, ou sans s'en rendre compte (la Belle Epoque, par exemple, j'y reviens sous peu).

Mais il serait plus original, pour le coup, de se demander (je l'avais fait incidemment dans le texte sur les « grands hommes » auquel je viens de faire allusion), si la notion même de conformisme (cf. infra) a le moindre sens concernant une société comme celle des Mélanésiens des Trobriand. Qu'il y ait là-bas des différences individuelles, des gens plus ou moins mous, plus ou moins dynamiques, plus ou moins concernés par la Kula, etc., certes oui (heureusement !). Et sans doute (peut-être Malinowski les évoque-t-il, je ne m'en souviens plus) y a-t-il des mauvais coucheurs boudant à l'occasion la Kula et pouvant en dire du mal. Mais quand une société vit autant dans le cérémonial et dans le rituel que celle-ci, un cérémonial et un rituel demandant de surcroît autant d'activité que la Kula (un rituel vivant ne peut s'accomplir mécaniquement, même s'il y a une part d'automatisme dans l'esprit de ceux qui sont habitués à l'appliquer), le terme de conformisme semble bien peu adapté - au point que l'appliquer au passé peut sembler une typique manoeuvre moderne, renvoyant sur les sociétés traditionnelles un mal en réalité secrété par les sociétés modernes.

Je précise à toutes fins utiles qu'il ne faut pas confondre le Mélanésien de Malinowski et Homo Festivus : la Kula peut certes être qualifiée de festive, elle n'emplit pas pour autant toute la vie du Mélanésien (elle n'est d'ailleurs pas son seul mode de commerce), qui sait très bien faire la part des choses à la routine, aux « travaux et aux jours ». C'est justement l'erreur, l'illusion - volontaire à quel point ? rappelons que c'est une illusion encouragée par certains pouvoirs publics -, l'illusion et même l'hallucination (anxiogène elle aussi) du Festivus de P. Muray, que de croire qu'il est possible de toujours vivre dans la fête - et, par ailleurs et en même temps, de faire l'impasse sur le rôle du commerce dans la société, plus important pourtant chez nous qu'aux Trobriand, où l'on avait justement su lui faire sa place en le codifiant sévèrement et en l'imbriquant, bonjour Polanyi, dans une organisation qui le dépasse.


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Nous voilà loin de Mauriac - peut-être. Il serait intéressant, mais au-dessus de mes moyens actuels, de voir quelles sont les caractéristiques sociales qui permettent, suscitent, ou rendent improbable, l'émergence de la figure du saint.

Joyeuses Pâques !





P.S. Je découvre, c'est pain-bénit pour moi, que le terme conformiste, récent, est d'origine protestante. Voici ce qu'en dit le Robert (2006) :

Conformisme. 1904, de conformisme. Fait de se conformer aux normes, aux usages. Péj. Atttitude passive d'une personne qui se conforme aux idées et aux usages de son milieu.

Conformiste. 1666, angl. conformist. 1. Personne qui professe la religion de l'Eglise anglicane. 2. Qui se conforme aux usages, aux traditions, aux coutumes.


Dans le premier sens de « conformisme » et le sens de 2 de « conformiste », il n'y a pas de distinction à faire entre sociétés traditionnelles et modernes. Mais dans le sens péjoratif (le plus courant) de « conformisme », dont on voit bien la filiation avec le sens 1 de « conformiste » (génie de la langue ? Polémique catholique ? Le terme apparaît en tout cas pour désigner un mode d'obéissance intérieur à la règle : nous sommes cette fois en plein dans le paradoxe de Muray-Wittgenstein), non seulement il y a une rupture à faire, celle que je viens d'essayer d'analyser, mais on voit bien que les termes apparaissent avec la modernité, et même avec une des manifestations les plus importantes de la modernité, le protestantisme anglo-saxon. Sale race !



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Sur un sujet proche : la place des lieux communs dans la tradition et dans la modernité.

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